INFLUENCE DIGITALE ET ENTREPRENEURIAT EN AFRIQUE : Mame Ndiaye Savon, ou l’art de vendre autrement : leçons d’une influenceuse sénégalaise




 
 
Icône controversée des réseaux sociaux, adulée par ses fans et critiquée par ses détracteurs, Mame Ndiaye Savon est devenue un phénomène incontournable au Sénégal. Avec plusieurs centaines de millions de vues sur Tik-tok et sur Instagram, cette analphabète, vendeuse de produits cosmétiques, illustre une évidence : le marketing digital africain s’écrit d’abord sur le terrain, loin des PowerPoint et des certifications théoriques. Son ascension fulgurante oblige à interroger les codes, les pratiques et les croyances dans un secteur en pleine mutation.
 
 
 
Elle est partout, tout le temps, impossible à éviter pour qui fréquente Tik-tok ou Instagram au Sénégal. Mame Ndiaye Savon, de son vrai nom Mame Ndiaye, a su transformer un commerce de cosmétiques en phénomène digital. Ses directs sur Tik-tok attirent des dizaines de milliers de spectateurs, ses lives deviennent des scènes de vente à ciel ouvert, son franc-parler fait jaser mais ne laisse jamais indifférent. Derrière l’excentricité, les débordements de langage et les controverses qui l’entourent, se cache une évidence : cette femme vend. Et elle vend mieux que beaucoup de soi-disant spécialistes du marketing digital.
Mame Ndiaye Savon ne se contente pas de promouvoir ses produits, elle met en scène l’acte de vente. Dans un monde saturé d’images policées, de publicités trop lisses et de discours convenus, elle choisit la spontanéité, l’excès, parfois même la provocation. Sa communication n’est pas codifiée dans des manuels académiques : elle est intuitive, directe, enracinée dans les réalités culturelles sénégalaises. Le résultat est sans appel : une visibilité organique exceptionnelle, une fidélisation communautaire forte et un chiffre d’affaires réel, palpable.
Beaucoup d’experts diplômés échouent à générer ce type de performance. Car ils confondent la théorie avec la pratique, la planification avec l’exécution, la notoriété avec la conversion. Mame Ndiaye Savon, sans diplôme supérieur, démontre qu’il suffit d’un smartphone, d’un instinct commercial et d’une compréhension profonde de son public pour renverser les codes.
Son ascension rappelle que l’influence digitale au Sénégal n’est pas un phénomène anecdotique. Elle s’inscrit dans un contexte plus large : la montée en puissance des plateformes sociales comme espaces de commerce, l’émergence d’influenceurs locaux capables de mobiliser des masses, et l’échec relatif des modèles importés d’Occident qui peinent à s’adapter aux réalités africaines.
Au-delà de sa personne, c’est tout un système qui se révèle : celui d’un marketing africain pragmatique, basé sur la proximité, la créativité et l’authenticité.
Dans les rues de Dakar, le nom de Mame Ndiaye Savon suscite des réactions contrastées. Certains la voient comme une femme vulgaire, irrespectueuse, indigne de représenter le Sénégal. D’autres, au contraire, admirent son audace, sa capacité à se battre pour imposer son business dans un univers encore très masculin. Cette polarisation est au cœur de son succès : elle alimente le débat, entretient la curiosité, nourrit le buzz. Dans l’économie de l’attention, chaque critique devient un relais gratuit.
Sa stratégie repose sur une évidence que beaucoup de communicants oublient : les émotions vendent plus que les arguments rationnels. Elle raconte ses produits comme on raconte une histoire, elle met de l’énergie, de l’excès, parfois même du drame dans ses présentations. Ses lives ne sont pas de simples démonstrations commerciales, ce sont des spectacles émotionnels où chaque mot, chaque geste devient une incitation à l’achat. Elle vend comme sur un marché, mais son marché est mondial, dématérialisé et amplifié par les algorithmes.
Car c’est une autre de ses forces : elle comprend instinctivement le fonctionnement des plateformes. Elle sait quand poster, comment interagir, comment stimuler l’algorithme. Elle sait que Tik-tok valorise la régularité, l’énergie, la spontanéité. Elle sait qu’Instagram favorise les stories engageantes, les lives prolongés, les interactions communautaires. Elle a appris en pratiquant ce que beaucoup d’experts théorisent sans jamais expérimenter.
Ce contraste est révélateur d’une fracture dans le marketing digital africain. D’un côté, une élite formée dans les business schools, souvent tournée vers les modèles européens ou américains, reproduisant des concepts importés. De l’autre, une génération de praticiens autodidactes qui s’approprient les outils numériques pour répondre à des besoins locaux. L’écart entre les deux est frappant : les premiers produisent des rapports, les seconds produisent des résultats.
Mame Ndiaye Savon incarne cette deuxième catégorie. Elle n’a pas besoin de diplômes pour prouver son efficacité. Ses chiffres parlent pour elle : des millions de vues, des milliers de ventes, une communauté active. Elle est la démonstration vivante qu’en Afrique, le marketing digital ne se réduit pas à des slides de conférences, mais qu’il s’écrit d’abord dans la rue, dans les marchés, dans les pratiques quotidiennes des populations.
L’autre leçon qu’elle offre est celle de la résilience face à la controverse. Là où d’autres s’effondrent face aux critiques, elle transforme chaque polémique en opportunité médiatique. On la traite de vulgaire ? Elle en rajoute. On l’accuse d’être irrespectueuse ? Elle s’affirme encore plus. Chaque scandale devient une manière de rester au centre de la conversation. Dans un environnement digital où l’oubli est la pire menace, elle a trouvé la parade : rester visible coûte que coûte.
Ce mécanisme n’est pas nouveau. Des figures internationales comme Kim Kardashian ou Cardi B ont bâti leur empire sur la même logique : transformer la controverse en capital médiatique. Ce qui change, c’est le contexte : au Sénégal, une société conservatrice où l’image publique reste très encadrée par des normes sociales et religieuses, le pari est risqué. Mais il fonctionne.
Son modèle interroge aussi les marques. Peut-on associer son image à une figure aussi clivante ? Pour des institutions, des multinationales ou des marques premium, le risque est évident : un bad buzz peut ternir une réputation en quelques heures. Mais pour des marques cherchant à toucher massivement les jeunes, les classes populaires ou les consommateurs avides de nouveautés, elle est un atout incomparable. La question n’est donc pas de savoir si elle est “respectable”, mais si son profil est compatible avec la stratégie de marque visée.
Cette réflexion renvoie à un débat plus large : le marketing africain doit-il continuer à se calquer sur les standards occidentaux, ou inventer ses propres codes ? La réponse est en train de s’imposer d’elle-même. Les réalités locales sont trop différentes pour que les modèles importés fonctionnent tels quels. En Afrique, le poids des langues locales, des dynamiques communautaires, des relations interpersonnelles est déterminant. Un marketing qui ignore ces paramètres est voué à l’échec.
Mame Ndiaye Savon illustre ce marketing africain en gestation. Elle ne s’exprime pas en anglais ou en français académique mais en wolof, en codes accessibles à tous. Elle ne s’adresse pas à une élite mais au grand public. Elle ne cherche pas à séduire les analystes, mais à convaincre les consommateurs. Elle n’édifie pas une image aseptisée, elle incarne une personnalité forte, parfois excessive, mais toujours authentique.
C’est cette authenticité qui fait la différence. Dans un monde saturé de faux-semblants, de publicités lisses et de discours convenus, les consommateurs recherchent des voix vraies. Mame Ndiaye Savon est imparfaite, mais elle est vraie. Et dans le digital, le vrai vend plus que le parfait.
L’impact de son parcours dépasse sa personne. Il questionne tout un écosystème. Pourquoi tant d’agences de communication échouent à créer des campagnes efficaces sur les réseaux sociaux ? Pourquoi tant de consultants en marketing digital accumulent les titres mais peinent à générer de la valeur pour leurs clients ? Pourquoi l’Afrique continue-t-elle à importer des modèles théoriques au lieu de valoriser ses propres pratiques ?
La réponse est simple : parce que l’on valorise encore trop le diplôme au détriment du résultat, la théorie au détriment de l’expérience, le discours au détriment de l’action. Mame Ndiaye Savon, avec ses excès, ses contradictions et ses controverses, rappelle une vérité universelle : le marketing est avant tout l’art de vendre. Tout le reste n’est qu’habillage.
Alors, faut-il la considérer comme un modèle ? La question divise. Mais une chose est certaine : elle incarne une évolution que personne ne peut ignorer. L’Afrique a besoin de repenser son marketing, non pas en rejetant les savoirs académiques, mais en les confrontant aux pratiques de terrain. Elle a besoin de reconnaître que les stratégies efficaces ne naissent pas seulement dans les universités, mais aussi dans les marchés, dans les rues, dans les directs Tik-tok.
Mame Ndiaye Savon est peut-être controversée, mais elle est aussi une pionnière. Elle ouvre une brèche dans laquelle d’autres entreront. Elle force les “experts” à se remettre en question. Elle oblige les marques à reconsidérer leurs approches. Elle rappelle aux communicants que l’important n’est pas de parler de stratégie, mais de générer des résultats.
En définitive, son histoire est celle d’une autodidacte qui a su s’approprier les outils du XXIe siècle pour inventer son propre modèle. C’est celle d’une vendeuse devenue influenceuse, d’une polémiste devenue businesswoman, d’une femme critiquée devenue incontournable. Elle est la preuve vivante que le marketing africain est en train de s’écrire, non pas dans les conférences internationales, mais dans les lives de celles et ceux qui osent expérimenter.
Alors oui, Mame Ndiaye Savon divise. Oui, elle choque. Oui, elle dérange. Mais au fond, n’est-ce pas là le rôle de toute pionnière ?
 
 
 
 
 
Sidy Djimby NDAO
 
 
 
 
 
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