HISTOIRE DE KARIM, DÉTENU EN PRISON EN FRANCE: Ce supporter sénégalais à qui les Lions donnent espoir au fond de sa cellule de prison



 
 
«Si je peux partager mon histoire et donner de belles émotions aux gens, avec plaisir», ce sont les mots utilisés le Sénégalais du fin fond de sa cellule de prison en France. Karim,«un fan de foot à mort, depuis l’enfance», raconte comment les Lions ont changé son existence en taule. «Devant les Lions, je redeviens gamin et mes émotions n’en sont que plus exacerbées», confesse-t-il. En prison en France depuis 2019, Karim nous fait le récit de ses émotions malheureuses lors de la Coupe du monde 2018, de la Can 2019, mais aussi de l’explosion de joie qu’il a vécue lors de cette Can 2022.  Karim place aussi un très grand espoir sur les protégés du coach Aliou Cissé pour ce Mondial au Qatar.
 
 
 
 
«Le football, c’est ma thérapie, mon échappatoire»
 
 
 
«Je m’appelle Karim, J’ai 34 ans. Né à Dakar, j’ai grandi en France. J’ai pratiqué le foot en club pendant près de 25 ans. Je rêvais d’en faire mon métier, mais ce n’est pas donné à tout le monde. Puis j’ai coaché des jeunes, pour rester dans ma passion. Je ne peux compter tout l’argent dépensé dans des maillots, chaussures, et autres accessoires de tous genres que j’ai achetés. Grand supporter du PSG, je me suis ruiné toute la vie en billets de stade, tant au Parc des Princes qu’à l’extérieur, lors de déplacements aussi enflammés que périlleux notamment à Marseille où l’on se battait souvent contre les supporters olympiens à l’époque où le PSG n’avait pas un sou et se battait pour éviter la relégation. Parisien ou rien. Le football, c’est ma thérapie, mon échappatoire. Je redeviens comme un gamin de 10 ans lorsque je me plonge dans un match, ou une compétition. Je soutiens mon équipe avec force, et les émotions restent aussi puissantes que lorsque j’étais enfant. Je vis les matchs».
 
 
 
«Quand on est dans une situation vulnérable comme celle-ci, on essaye de s’accrocher comme on peut pour tenir le coup»
 
 
 
«J’avais beaucoup d’ambition et de projets dans la vie, mais tout ne se passe pas toujours comme on le prévoit. Les imprévus, les problèmes, peuvent surgir et s’abattre sur vous et il est parfois très difficile de s’en sortir. Malheureusement, depuis près de 4 ans, je suis incarcéré dans une prison française. De graves problèmes familiaux, conjugués à de mauvaises décisions et des réactions trop impulsives de ma part m’ont conduit dans ces galères et la justice française est très compliquée. On peut être incarcéré, puis libéré dans l’attente de son jugement, puis être incarcéré à nouveau après son jugement. J’étais donc incarcéré en 2018, j’ai été libéré mi-juillet 2018, et incarcéré à nouveau depuis février 2019. Alors, quand on est dans une situation vulnérable comme celle-ci, on essaye de s’accrocher comme on peut pour tenir le coup. On se rapproche des gens qui nous ressemblent. On essaye de se soutenir, de s'aider entre Sénégalais. On fait parfois des rencontres surprenantes. J’ai rencontré ici une personne que je ne connaissais absolument pas, mais nous nous sommes rendu compte que nos mères se connaissaient depuis le Sénégal. Nous sommes naturellement devenus très proches. C’était mon codétenu, supporter de l’OM qu’il est, nous vivions notre passion commune ensemble».
 
 
«Ma déception fut grande d’être éliminé dès le premier tour à cause des cartons jaunes en 2018»
 
 
 
«J’ai enfilé mes plus beaux maillots lorsque la Coupe du monde 2018 débutait. J’avais beaucoup d’espoir pour l’équipe du Sénégal. En cours de promenade, avec les autres détenus, nous avions des débats passionnés et enflammés sur telle ou telle équipe, tel ou tel joueur, et comme bien souvent, la ferveur prenait le dessus sur la lucidité et l’objectivité et chacun pensait avoir raison. Ces moments sont précieux, car nous nous réunissions tous autour d’une passion : le football, pour oublier nos problèmes le temps d’un instant, et nous font supporter de façon plus légère la prison.Ma déception fut grande d’être éliminé dès le premier tour à cause des cartons jaunes. C’était tellement injuste. Mais j’étais quand même fier de mon Sénégal, avec néanmoins une petite amertume car nous méritions mieux. J’avais en tout cas le sentiment qu’un groupe, qu’une ligne directrice se dessinaient petit à petit. C’était encourageant. Et quelques jours après, j’ai été libéré dans l’attente de mon jugement. Malheureusement pas pour longtemps, car début 2019, après jugement, réincarcération. Et rebelote, il faut tout recommencer. Chacun vit sa détention à sa façon, chacun fait comme il peut pour se protéger et tenir. J’avais un peu d’expérience donc je savais ce dont moi j’avais besoin pour mon équilibre mental.»
 
 
 
«Et la Can 2019 … Cette finale horrible où on encaisse un but très vilain… j’ai dû porter un maillot de l’Algérie en promenade»
 
 
 
«Et la Can 2019 est très vite arrivée. Il y a beaucoup d’Algériens dans les prisons françaises. On connaît nos frères et sœurs algériens, ils ne sont pas trop un modèle lorsque l’on parle d’humilité, de réserve, de manque de confiance. Alors avec mes amis algériens ici nous nous vantions, nous nous taquinions et nous nous menacions au sujet de cette Can en Égypte. J’étais persuadé que c’était la nôtre. Eux la leur. Ils nous battent en poule. J’avais parié avec un de mes bons amis algériens, j’avais donc perdu, j’ai dû porter un maillot de l’Algérie en promenade (rire). Je lui ai donné rdv en finale. Cette finale horrible où on encaisse un but très vilain et chanceux au bout de 2 minutes. Cette finale où on subit que 2 tirs, où on a 68% de possession de balle sur l’ensemble du match, mais cette finale qu’on perd, et c’est tout ce qui compte. J’ai été sonné pendant quelque temps, d’autant que les Algériens ici m’ont fatigué pendant des mois. Il faut être honnête : en termes d’effectif, selon moi, le Sénégal est au-dessus, mais en termes de qualité de jeu d’équipe, l’Algérie était au-dessus. Alors cela m’a aidé à atténuer cette défaite, on se rapproche du titre, on finira par décrocher notre étoile».
 
 
 
«En 2022, je ne sais pas si j’étais prêt à supporter un nouvel échec… si jamais je me trompe et qu’on perde, dans quel état vais-je être ?»
 
 
 
«Le quotidien de la prison suit son cours, on continue à faire comme on peut pour tromper l’ennui, pour alléger les problèmes, pour s’aérer l’esprit. On organise des tournois de foot, on lance des débats sans fin, et puis on continue à souffrir à cause du PSG qui nous donne chaque année de l’espoir pour rien (rire).Arrive cette Can 2021 qui se joue en 2022. J’ai le sentiment que notre effectif est de plus en plus solide. Je ne suis pas toujours d’accord avec les compositions d’Aliou Cissé mais je peux me vanter d’être un des rares à ne l’avoir jamais critiqué. En revanche, je ne sais pas si j’étais prêt à supporter un nouvel échec. Bien entendu, chaque compétition a son maillot, et je me suis mis à jour. J’enfile mes maillots les uns par-dessus les autres comme un guignol et j’observe les matchs attentivement. Les premiers sont ennuyeux, et poussifs. Il y a des circonstances atténuantes avec ces histoires de Covid. Je reste patient, et j’observe au fil de la compétition une montée en puissance crescendo. Et nous revoilà en finale. Le jour J, un mélange de stress et de confiance m’habite. Je sais qu’on va gagner, mais si jamais je me trompe et qu’on perde, dans quel état vais-je être ?»
 
 
«Fin du match. Tirs au but. Je commence à me faire à moi-même des promesses que je ne vais jamais tenir (rire)»
 
 
 
«Le match débute, bonne intensité de notre part, on rate un pénalty mais on ne lâche rien. Mi-temps, 0-0. Je suis calme. Mais plus la fin du match approche, plus la pression monte, on n’arrive pas à marquer malgré une globale domination, cela me rappelle la finale contre l’Algérie en 2019, je me dis que si on encaisse un but maintenant, c’est fini on ne reviendra pas. Fin du match. Tirs au but. La loterie, comme on dit. La tension est à son comble mais j’ai confiance en Édouard Mendy. Je commence à me faire à moi-même des promesses que je ne vais jamais tenir (rire). ‘’Si on gagne, je serai réglo avec la justice française’’, ‘’Si on gagne je me marie dès que je sors de prison’’, ‘’Si on gagne je prends soin de ma santé et j’arrête de manger n’importe quoi’’, ‘’Si on gagne je demanderai pardon à la juge pour l’avoir insultée elle et toute sa famille’’ (rire)…»
 
 
 
«J’ai hurlé de joie lorsque je vois les filets trembler. La prison explose… Des feux d’artifice explosent aux alentours de la prison, les festivités commencent à l’extérieur. La joie que je ressens est indescriptible»
 
 
 
«Les autres tirs, certains marquent, d ‘autres ratent. Arrive le tour de Sadio, et lorsque je vois son regard, je vois les 17 millions de Sénégalais, et je sais alors qu’on a gagné. Je le dis à mon codétenu, et j’ai hurlé de joie lorsque je vois les filets trembler. Je ne tiendrai aucune de mes promesses ! La prison explose, tous les Sénégalais, tous les noirs de la prison hurlent et frappent aux portes. La majorité des arabes nous soutient également. Des feux d’artifice explosent aux alentours de la prison, les festivités commencent à l’extérieur. La joie que je ressens est indescriptible».
 
 
 
«Je prends mon tapis et je me prosterne pour remercier Allah. Je contacte ma mère, ma sœur…»
 
 
 
«Je n’en revenais pas. Je prends mon tapis et je me prosterne pour remercier Allah. Je prends mon portable, je contacte mes proches, ma mère, ma sœur, des ami(e)s. Tout le monde me hurle dans l’oreille, je hurle en retour, on ne se comprend pas trop car on crie comme des fous, mais une chose est sûre : on a gagné ! Enfin ! J’ai pleuré comme un gosse. Comme si c’était moi sur le terrain et que c’est moi qui avais offert cette victoire au peuple sénégalais. Je suis passé par tous les moments, toutes les émotions possibles lors de cette finale.»
 
«Cela m’a rappelé que je suis un être humain, et que j’ai également droit au bonheur»
 
 
«En prison on a tendance à être déshumanisé et on peut parfois perdre confiance en soi et estime de soi. Le fait que cette victoire ait pu me faire ressentir toutes ces émotions folles, qui sont restées en moi pendant des mois et des mois, cela m’a rappelé que je suis un être humain, et que j’ai également droit au bonheur. La puissance du football est immense, celle du Sénégal l’est encore plus. Cette victoire m’a fait énormément de bien, moi qui me nourris de football depuis l’enfance, et m’a donné beaucoup de force et de courage pour continuer à affronter les soucis. Il y a pire que moi dans la vie. Bien pire.»
 
 
 
 
«A la Coupe du monde Qatar 2022, nous pouvons aller loin…»
 
 
 
«J’ai hâte désormais que la Coupe du monde Qatar 2022 débute. Je l’aborde comme si j’étais un membre à part entière de l’équipe sénégalaise car pour moi, les joueurs, le staff et le peuple nous ne faisons qu’un. J’estime désormais que la pression est un peu plus grande, car nous représentons non seulement le Sénégal, mais également l’Afrique. Cette Afrique qui est négligée par le monde occidental. Nous nous devons de porter avec fierté ces couleurs du Sénégal et celles de l’Afrique. Nos responsabilités sont augmentées. Et en plus de ça, nous pouvons aller loin car nous en avons les qualités, nous n’avons à rougir devant personne, nous ne devons craindre personne, car nous sommes nous-mêmes désormais une grande équipe avec de grands joueurs. Cette pression doit être positive et doit nous permettre de nous magnifier. Si nous jouons avec l’humilité, la discipline et le cœur nécessaires, nous irons loin j’en suis persuadé».
 
 
«Merci le Sénégal, merci les Lions»
 
 
 
« En attendant, je ne me lasse pas de regarder encore, encore et encore des centaines des milliers de fois le film de la finale de la Can ce 6 février 2022, et j’en ai, à chaque fois, la chair de poule et mes émotions remontent et c’est toujours aussi puissant et magique. Merci le Sénégal, merci les Lions, Ca Kanam comme en 2002, Manko Wuti Ndam Li comme à la Coupe d’Afrique 2022.
 
« Karim »
 
 
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