ENTRETIEN AVEC BABACAR ABBA MBAYE : «Il faut réinventer le lien avec les Sénégalais»




Dans un entretien sans détour, Babacar Abba Mbaye revient sur la perte de la Ville de Dakar par Taxawu Sénégal, évoque les fractures internes, les responsabilités politiques, mais aussi la légitimité d’Abass Fall comme nouveau maire. L’ancien adjoint de Khalifa Sall se confie également sur son propre parcours, ses blessures, la création de son mouvement, et son engagement humain, notamment à travers ses visites régulières en prison. Un regard lucide et critique sur la scène politique sénégalaise, entre fin de cycle et besoin de reconstruction.
 
Les Echos : Au terme de l'élection qui fait d'Abass Fall le maire élu de Dakar au détriment de vos anciens camarades, quel est le sentiment qui vous anime ?
 
Abass Fal : Cela fait 3 ans que j'ai quitté la ville de Dakar. Mais j’ai quand même une pointe de tristesse parce que cette institution n'a pas été pour nous simplement un levier politique mais un creuset administratif où nous avons énormément appris. Nous y avons appris l'administration, le service public à exercer, et assumer des responsabilités. Aujourd’hui c’est une page qui se tourne ; une page écrite pendant 16 ans ; et seize années dans une vie c’est un ballet d’hommes et femmes et de toutes leurs histoires avec tout ce que recouvre la vie dans son ensemble. Nous avons pensé et initié de grands projets, nous avons eu de grandes réussites fortement appréciables qui nous ont donné cette longévité, mais aussi nous avons eu de grandes souffrances et frustrations et c'est tout cela qui aujourd'hui prend fin, espérons que ce sera une renaissance pour cette institution qui aussi a beaucoup souffert…
 
Il est beaucoup question de trahison dans cette affaire. Vous pensez aussi comme les autres qu'il y en a ?
 
Je ne sais pas qui a trahi qui…  Je suis bien loin de tout cela maintenant ; je ne suis pas directement impliqué dans ce qui s'est fait, donc je ne suis pas en mesure d’étayer de telles affirmations. La seule chose que je peux vous dire, c'est un cycle politique qui est terminé et quand un cycle est terminé, il faut prendre le temps du recul pour se réinventer ; réécrire le récit de son histoire. Le cycle politique de Taxawu Sénégal tel qu'il s'est décliné depuis 2014 avec sa création, s’est terminé après les élections présidentielles.
C'est parce qu’ils ont refusé de voir cela, d’effectuer le travail nécessaire, qu’ils se sont laissé embarquer dans des législatives avec des choix plus que catastrophiques. Je l'ai dit et je l'ai répété au sortir des élections législatives, ce qui s'est passé était inacceptable pour Taxawu et la perte de la ville de Dakar n'est que la concrétisation de ce que les gens ont refusé de voir après la présidentielle. Ils n’ont pas été responsables et conséquents.
 
Est-ce que des retrouvailles entre Khalifa Sall et Barthélémy Dias sont possibles ?
 
Ce n'est même pas souhaitable ; on ne peut pas avoir un mouvement politique avec deux leaders. On ne peut pas avoir un mouvement politique avec deux ambitions. On ne peut pas avoir un mouvement politique avec des intérêts divergents. On ne peut pas avoir un mouvement politique avec des logiciels différents.  C’est ça la vérité et ce bicéphalisme à la tête de Taxawu est inopérant. Je pense que la meilleure chose, c'est que les gens soient conséquents et que chacun effectue son travail pour reconstruire son lien avec les Sénégalais. La démocratie est devenue aujourd'hui une affaire d'opinion ; il n'y a plus de distance entre les appareils et les populations. Les réseaux sociaux ont lissé toutes les aspérités et gommer toutes les distances ; chacun des deux a des chantiers qui sont prioritaires politiquement.
 
Cheikh Ahmadou Bamba Fall pense à des retrouvaille avec des plus jeunes comme vous. Êtes-vous partant et qu'avez-vous envie de lui répondre ?
 
Je remercie le camarade Bamba Fall pour sa considération à mon égard ; je pense qu’aujourd'hui ce serait vraiment dommage que les grands partis disparaissent du champ politique. Toutes les dérives que nous sommes en train de voir dans le champ politique ; les injures à tout-va, la désacralisation des institutions, l'incapacité même d'instaurer un débat public de qualité sont indirectement liés à cette situation. Je pense que, que ce soit au niveau du pôle libéral ou au niveau du bloc socialiste, il serait souhaitable que les grands partis puissent retrouver leur place et réinventer la politique au Sénégal. C’est d’abord le chantier des hommes et des femmes qui étaient à la tête de ces partis au moment des crises, c'est à eux de montrer l'exemple et les jeunes suivront.
 
On a vu Bassirou Samb, Seydina Issa Laye Samb, Pape Madiop Diop prendre la défense de Khalifa Sall face à Barthélemy Dias…
 
Il n'y a pas qu’eux, il y a les Léopold, les Youssou Mbow… etc. Je l'ai toujours dit je ne connais pas une plateforme politique ou une organisation politique qui a plus de talents au Sénégal que Taxawu ; c’est pour cela que les législatives étaient un vrai sacrilège. Mépriser autant de qualité pour des choix aussi irrationnels relevait de la cupidité.
 
Abass Fall, un maire légitime ou un maire illégitime ?
 
Mais bien sûr il est plus que légitime, il était au cœur de l’aventure électorale de 2022.  Le premier adjoint est le premier collaborateur du maire et quand on connaît l'agenda du maire de Dakar, le premier adjoint est de facto celui qui administre la mairie et qui fait toutes les représentations. Je me rappelle, à nos débuts, Khalifa était tellement occupé sur l'international que son premier adjoint, le maire Cheikh Gueye, était appelé le maire résident donc le premier adjoint d'une équipe gagnante est plus que légitime.
Maintenant, le mandat est presque terminé je pense qu’ils ont peu de temps pour mieux connaître l'institution, terminer les chantiers qui étaient en cours, et présenter un projet aux Dakarois pour les prochaines élections. J’espère qu'ils auront la capacité de redonner du souffle à l'institution et puis au bout du bout, l’année 2026 sera celle des Joj qui seront un événement historique pour Dakar.
 
Avec votre mouvement, certains pensent que vous tardez toujours à prendre votre envol. Vous leur répondez quoi ?
 
Je travaille à mon rythme avec mes ambitions et ma stratégie. La politique est une affaire personnelle et la vérité est que je sors d’une situation traumatisante. Vous consacrez 15 ans de votre vie, de votre jeunesse politique à une organisation, pour un résultat final aussi douloureux. Croyez-moi cela vous apprend à redéfinir le sens de votre engagement politique. Sur recommandations de plusieurs amis j’ai commencé un exercice salvateur qui est l'écriture qui m’a beaucoup aidé à prendre du recul et à être indulgent sur mes propres choix. C’est une vraie thérapie avant de construire notre propre histoire avec la meilleure version de nous-même. C’est un chantier prioritaire qui permet de jeter la rancune, la colère et l’amertume à la poubelle pour mieux appréhender ses propres défis.
 
Il paraît que vous êtes très régulier au niveau de la prison. Qui allez-vous y rendre visite ?
 
Pour avoir fait la prison, j'ai pour principe de vie de la mettre au-delà de toute contingence. C’est pour cela que je suis allé voir directement ou indirectement tous ceux que je connais personnellement ou non. Avec les parloirs, tu peux apercevoir tout le monde. Donc j’en ai profité pour rencontrer plusieurs détenus mais pour voir principalement Mansour Faye et bien sûr Badara Gadiaga, entre autres.
 
Que pensez-vous des inondations ?
 
 
Au-delà du débat qu'on peut avoir sur les engagements à plus de 700 milliards du régime précèdent ou la phrase malheureuse du ministre «sunu nawet», ces inondations nous montrent une réalité flagrante qu'on ne veut pas voir c'est que nos espaces urbains ont besoin d'investissements et cela doit permettre à tout un chacun de comprendre ce que signifie la baisse drastique des investissements dans le pays.
 
 
Madou Mbodj
 
 
LES ECHOS

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