Il y a dans la crise latente, ou désormais ouverte, entre Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko un non-dit qui, pourtant, saute aux yeux de quiconque observe le paysage politique sénégalais avec un minimum de lucidité. Ce non-dit, c’est la dérive quasi hégémonique d’une frange du militantisme de PASTEF, qui parle, argumente et agit comme si l’histoire du combat patriotique, la lutte contre l’injustice, la mobilisation populaire et l’alternance politique étaient la propriété privée d’un seul homme : Ousmane Sonko.
Ce réductionnisme militant est devenu l’un des principaux carburants de l’actuelle polarisation. Il nourrit les malentendus, radicalise les positions, étouffe la nuance et ampute la mémoire collective. À écouter certains partisans de PASTEF, on en viendrait presque à croire que la trajectoire politique récente du Sénégal tient exclusivement au courage solitaire d’un leader, comme si les milliers d’anonymes qui ont marché, résisté, payé des avocats, assumé des pressions sociales, perdu des emplois, ou simplement pris le risque de lever la main pour défier le système n’avaient joué aucun rôle dans l’avènement du changement du 24 mars 2024.
Cette lecture personnaliste du combat n’est pas seulement historiquement fausse. Elle est politiquement dangereuse.
D’abord parce qu’elle nie la pluralité d’une mobilisation sociale inédite. Le projet de transformation porté par PASTEF n’est pas né dans un bureau, ni dans une seule tête. Il s’est construit à travers des sacrifices dispersés, des consciences éveillées, des réseaux d’étudiants, des fonctionnaires dissidents, des familles entières traumatisées par la répression, des journalistes harcelés, des activistes emprisonnés ou exilés, des citoyens qui ont voté parfois pour la première fois de leur vie. En faire une épopée individuelle revient à effacer cette dimension collective, sans laquelle PASTEF n’aurait jamais été un phénomène politique.
Ensuite, cette appropriation privative fausse le rapport au pouvoir. Car si la victoire devient l’œuvre d’un seul homme, alors toute divergence avec cet homme devient immédiatement une trahison - même lorsque la divergence porte sur des orientations institutionnelles, des stratégies politiques, ou des visions de gouvernance parfaitement légitimes dans un cadre républicain. Le risque est immense : faire de la fidélité personnelle un critère politique, au détriment des idées, des programmes et des principes. Une telle logique ne peut mener qu’à la dérive.
Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que Bassirou Diomaye Faye n’est pas un invité tardif du combat patriotique. Il en fut l’un des architectes, l’un des plus déterminés, et l’un des premiers à payer le prix de la confrontation directe avec le système. Sa libération a précédé son élection, et son accession à la magistrature suprême a été possible parce qu’un collectif, et non un individu isolé, avait tenu bon, jusque dans les moments les plus sombres.
Réduire la dynamique de PASTEF à un « héritage » que seuls certains militants seraient légitimes à interpréter est profondément régressif. Cela revient à fermer la porte au débat interne, pourtant indispensable dans tout parti qui aspire à durer, se renouveler et gouverner. Cela revient aussi, de façon paradoxale, à reproduire les mêmes pratiques que PASTEF dénonçait jadis chez ses adversaires : la confiscation symbolique d’un combat collectif par un camp partisan.
Plus grave encore : cette posture essentialiste empêche de regarder la crise actuelle avec maturité. Au lieu d’analyser des divergences réelles - sur le fonctionnement gouvernemental, la stratégie internationale, la place du parti dans l’État, l’autonomie du président face au parti, ou encore le rythme des réformes - certains militants préfèrent disqualifier toute nuance en l’assimilant à une attaque contre Ousmane Sonko. Cette attitude est non seulement improductive, mais elle dégrade le débat public en le réduisant à un réflexe tribal, là où le Sénégal avait précisément besoin d’un souffle démocratique nouveau.
Le mérite du combat patriotique n’appartient à personne. Il n’est ni transmissible, ni appropriable, ni sacralisable au point d’échapper à la critique. Il appartient à l’histoire du pays. Il appartient aux morts, aux blessés, aux emprisonnés. Il appartient aux citoyens qui ont fait des choix courageux. Il appartient aux militants de la première heure comme aux électeurs de la dernière minute. Il appartient aux activistes comme aux abstentionnistes qui, en observant la détermination d’une jeunesse, ont finalement décidé de voter. Il appartient aux familles qui ont protégé leurs enfants, aux enseignants qui ont éveillé les consciences, aux journalistes qui ont tenu bon sous la pression.
Personne n’a le droit de privatiser cet héritage.
La maturité politique exige de dire clairement que Sonko, sans son peuple, n’aurait jamais franchi les étapes qui l’ont porté au rang de leader national. Et que Diomaye, sans la force populaire accumulée par des années de mobilisation, n’aurait jamais pu incarner le changement que le pays attendait. Les deux ont contribué, chacun à leur manière, à écrire une page essentielle de l’histoire politique sénégalaise. Leur désaccord n’efface ni leur rôle, ni celui des millions de Sénégalais qui ont participé à cette aventure.
La question qui se pose aujourd’hui n’est donc pas de savoir qui « possède » le combat. Elle est de savoir si PASTEF saura préserver l’esprit qui l’a porté : celui d’un mouvement citoyen, pluriel, humble dans la victoire, ouvert dans le débat, respectueux des institutions, et conscient que le Sénégal ne peut être gouverné durablement par un culte de personnalité, quel qu’en soit le bénéficiaire.
Car le vrai risque pour PASTEF n’est pas la divergence entre deux hommes. Le vrai risque, c’est la confiscation symbolique d’un combat collectif par un segment militant qui croit défendre Sonko alors qu’il fragilise le projet dont Sonko lui-même se revendique : un Sénégal réconcilié, apaisé, où le débat l’emporte sur le fanatisme et où les idées priment sur la loyauté aveugle.
Il est temps de se rappeler une vérité simple : aucune alternance ne survit si elle devient une religion. Aucun leader n’est infaillible. Aucun parti ne peut prospérer s’il ne reconnaît pas la puissance démocratique de la contradiction. Et aucun pays ne peut avancer si ses citoyens se laissent enfermer dans des fidélités qui étouffent la pensée critique.
La lutte a été collective. Le pouvoir, lui aussi, doit être collectif. Le Sénégal mérite mieux que des querelles d’appropriation mémorielle. Ce pays mérite une gouvernance lucide, un parti ouvert au débat, et un mouvement patriotique qui n’oublie jamais d’où il vient : du peuple, tout simplement.
Sidy Djimby NDAO
Ce réductionnisme militant est devenu l’un des principaux carburants de l’actuelle polarisation. Il nourrit les malentendus, radicalise les positions, étouffe la nuance et ampute la mémoire collective. À écouter certains partisans de PASTEF, on en viendrait presque à croire que la trajectoire politique récente du Sénégal tient exclusivement au courage solitaire d’un leader, comme si les milliers d’anonymes qui ont marché, résisté, payé des avocats, assumé des pressions sociales, perdu des emplois, ou simplement pris le risque de lever la main pour défier le système n’avaient joué aucun rôle dans l’avènement du changement du 24 mars 2024.
Cette lecture personnaliste du combat n’est pas seulement historiquement fausse. Elle est politiquement dangereuse.
D’abord parce qu’elle nie la pluralité d’une mobilisation sociale inédite. Le projet de transformation porté par PASTEF n’est pas né dans un bureau, ni dans une seule tête. Il s’est construit à travers des sacrifices dispersés, des consciences éveillées, des réseaux d’étudiants, des fonctionnaires dissidents, des familles entières traumatisées par la répression, des journalistes harcelés, des activistes emprisonnés ou exilés, des citoyens qui ont voté parfois pour la première fois de leur vie. En faire une épopée individuelle revient à effacer cette dimension collective, sans laquelle PASTEF n’aurait jamais été un phénomène politique.
Ensuite, cette appropriation privative fausse le rapport au pouvoir. Car si la victoire devient l’œuvre d’un seul homme, alors toute divergence avec cet homme devient immédiatement une trahison - même lorsque la divergence porte sur des orientations institutionnelles, des stratégies politiques, ou des visions de gouvernance parfaitement légitimes dans un cadre républicain. Le risque est immense : faire de la fidélité personnelle un critère politique, au détriment des idées, des programmes et des principes. Une telle logique ne peut mener qu’à la dérive.
Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que Bassirou Diomaye Faye n’est pas un invité tardif du combat patriotique. Il en fut l’un des architectes, l’un des plus déterminés, et l’un des premiers à payer le prix de la confrontation directe avec le système. Sa libération a précédé son élection, et son accession à la magistrature suprême a été possible parce qu’un collectif, et non un individu isolé, avait tenu bon, jusque dans les moments les plus sombres.
Réduire la dynamique de PASTEF à un « héritage » que seuls certains militants seraient légitimes à interpréter est profondément régressif. Cela revient à fermer la porte au débat interne, pourtant indispensable dans tout parti qui aspire à durer, se renouveler et gouverner. Cela revient aussi, de façon paradoxale, à reproduire les mêmes pratiques que PASTEF dénonçait jadis chez ses adversaires : la confiscation symbolique d’un combat collectif par un camp partisan.
Plus grave encore : cette posture essentialiste empêche de regarder la crise actuelle avec maturité. Au lieu d’analyser des divergences réelles - sur le fonctionnement gouvernemental, la stratégie internationale, la place du parti dans l’État, l’autonomie du président face au parti, ou encore le rythme des réformes - certains militants préfèrent disqualifier toute nuance en l’assimilant à une attaque contre Ousmane Sonko. Cette attitude est non seulement improductive, mais elle dégrade le débat public en le réduisant à un réflexe tribal, là où le Sénégal avait précisément besoin d’un souffle démocratique nouveau.
Le mérite du combat patriotique n’appartient à personne. Il n’est ni transmissible, ni appropriable, ni sacralisable au point d’échapper à la critique. Il appartient à l’histoire du pays. Il appartient aux morts, aux blessés, aux emprisonnés. Il appartient aux citoyens qui ont fait des choix courageux. Il appartient aux militants de la première heure comme aux électeurs de la dernière minute. Il appartient aux activistes comme aux abstentionnistes qui, en observant la détermination d’une jeunesse, ont finalement décidé de voter. Il appartient aux familles qui ont protégé leurs enfants, aux enseignants qui ont éveillé les consciences, aux journalistes qui ont tenu bon sous la pression.
Personne n’a le droit de privatiser cet héritage.
La maturité politique exige de dire clairement que Sonko, sans son peuple, n’aurait jamais franchi les étapes qui l’ont porté au rang de leader national. Et que Diomaye, sans la force populaire accumulée par des années de mobilisation, n’aurait jamais pu incarner le changement que le pays attendait. Les deux ont contribué, chacun à leur manière, à écrire une page essentielle de l’histoire politique sénégalaise. Leur désaccord n’efface ni leur rôle, ni celui des millions de Sénégalais qui ont participé à cette aventure.
La question qui se pose aujourd’hui n’est donc pas de savoir qui « possède » le combat. Elle est de savoir si PASTEF saura préserver l’esprit qui l’a porté : celui d’un mouvement citoyen, pluriel, humble dans la victoire, ouvert dans le débat, respectueux des institutions, et conscient que le Sénégal ne peut être gouverné durablement par un culte de personnalité, quel qu’en soit le bénéficiaire.
Car le vrai risque pour PASTEF n’est pas la divergence entre deux hommes. Le vrai risque, c’est la confiscation symbolique d’un combat collectif par un segment militant qui croit défendre Sonko alors qu’il fragilise le projet dont Sonko lui-même se revendique : un Sénégal réconcilié, apaisé, où le débat l’emporte sur le fanatisme et où les idées priment sur la loyauté aveugle.
Il est temps de se rappeler une vérité simple : aucune alternance ne survit si elle devient une religion. Aucun leader n’est infaillible. Aucun parti ne peut prospérer s’il ne reconnaît pas la puissance démocratique de la contradiction. Et aucun pays ne peut avancer si ses citoyens se laissent enfermer dans des fidélités qui étouffent la pensée critique.
La lutte a été collective. Le pouvoir, lui aussi, doit être collectif. Le Sénégal mérite mieux que des querelles d’appropriation mémorielle. Ce pays mérite une gouvernance lucide, un parti ouvert au débat, et un mouvement patriotique qui n’oublie jamais d’où il vient : du peuple, tout simplement.
Sidy Djimby NDAO