Le remaniement ministériel opéré, avec notamment le départ du ministre de la Justice, Ousmane Diagne, magistrat chevronné, réputé équidistant de la politique et le général Jean Baptiste Tine, qui était en charge du ministère de l’Intérieur, n’enchante pas certains membres de l’opposition. Le leader de Convergence pour la défense des valeurs républicaines (Cvr) estime qu’il y a lieu de s’inquiéter par rapport à l’Etat de droit, vu le statut de Yassine Fall et Bamba Cissé dans le Pastef. En outre, Déthié Faye croit que ces changements, qui visent apparemment l’accélération de la cadence par rapport aux dossiers des événements politiques, devraient s’accompagner de l’abrogation de la loi d’amnistie pour que justice se fasse en toute transparence.
Les Échos : Comment analysez-vous les choix opérés avec le départ de Ousmane Diagne et Jean Baptiste Tine ?
Déthié Faye : La publication de la liste du second gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko semble indiquer qu'après évaluation du travail de l'équipe sortante, deux ministres étaient considérés comme des obstacles à la mise en œuvre du projet : l'intérieur et la justice. Prenons le cas du ministre de la Justice, sa posture et les multiples critiques dont il faisait l'objet pour une prétendue lenteur, dans la prise en charge des dossiers des victimes des événements de 2021 à 2024, étaient des signes annonciateurs de son départ. On est allé jusqu'à dire que le temps de la justice doit être le temps du peuple, alors que le peuple n'a pas un temps consensuel.
Si les changements notés ont pour objectif d'accélérer la cadence, comme disait l'autre, il faudrait commencer par rapporter, abroger ou annuler la loi d'amnistie. Ainsi, la justice pourra travailler en toute sérénité avec équité, pour que jamais des événements tragiques comme ceux de 2021 à 2024 ne soient plus vécus par le peuple sénégalais. En tout état de cause, la justice, dernier rempart pour la préservation de l'État de droit, doit rester debout et jalouse de son indépendance.
Est-ce que c’est pour dire qu’en l’état actuel des choses, justice ne peut être rendue sans abrogation ?
L'annulation de la loi portant amnistie est une nécessité urgente pour pouvoir connaître la vérité, toute la vérité sur les événements douloureux de février 2021 à février 2024. Il nous faut déterminer : qui est coupable, de quoi ? Qui regrette ses actes ? Qu'est-ce que le peuple est disposé à pardonner ? Quel pacte pour que le Sénégal n'ait plus à revivre de pareils drames ? Il y a une incohérence dans la situation actuelle où l'Etat pourrait être amené à indemniser en même temps le coupable et la victime. En prenant le cas du bus incendié à Yarakh, la situation actuelle permet d'indemniser à la fois le propriétaire du bus, les parents des deux victimes ainsi que ceux qui ont commis le crime s'ils ont été arrêtés et emprisonnés.
Une fois l'étape d'investigation, pour situer les responsabilités, dépassée, il sera alors possible d'adopter une loi prenant en compte la problématique de la cohésion nationale et le nécessaire bannissement de la violence comme moyen de conquête ou de conservation du pouvoir. De larges concertations permettront de préserver le Sénégal de ces menaces qui ont déstabilisé beaucoup de pays.
Et la nomination de Bamba Cissé, alors que l’opposition a toujours demandé une personnalité neutre à la tête de ce département ?
Le choix d'un acteur partisan à la tête du ministère de l'Intérieur inquiète, parce qu'il constitue un facteur de crispation de l'espace politique par l'accentuation de la rupture de confiance entre les acteurs politiques. On peut craindre qu'un ministre de l'Intérieur partisan accepte de tenir la gomme pour effacer ceux qui se battent pour la consolidation de la démocratie et le renforcement de l’Etat de droit.
Cela ne risque-t-il pas de chambouler la mise en œuvre des décisions arrêtées lors du dialogue ?
Il est clair que le dialogue politique en prendra un sacré coup, puisque le ministre n'écoutera pour l'essentiel que son parti. Nous sommes tous témoins des prises de position des responsables et militants pour que les orientations de la gestion des affaires du pays soient discutées et définies dans les instances de Pastef. Avec une telle ligne, aucune marge de manœuvre ne lui sera laissée.
Yassine Fall est-elle le bon profil pour le département de la Justice ?
Mme Yassine Fall est nommée ministre de la Justice. Je lui souhaite plein succès en se mettant au service de la République et non celui de son parti. Mais il y a lieu d'être inquiet pour au moins deux raisons : premièrement, son passage au ministère des Affaires étrangères n'a pas permis de préserver l'image du Sénégal sur le plan international. Deuxièmement, son statut de vice-présidente de Pastef risque de la pousser à accélérer la cadence pour effacer ou réduire à sa plus simple expression toute forme de liberté d'expression, d'opinion ou de presse. Mais je suis convaincu que les magistrats du siège refuseront toute immixtion dans leur mission.
Nd. Kh. D. F