La justice sénégalaise est en deuil frappée par le décès du président du Conseil constitutionnel, Mamadou Badio Camara, hier, à l’âge de 73 ans. Il sera inhumé cet après-midi au cimetière de Pikine, après la cérémonie de levée du corps prévue à 10 heures à l’hôpital Principal. Le haut magistrat est crédité de 40 ans de bons et loyaux services. Son engagement en faveur de l’Etat de droit s’est manifesté à travers la décision du Conseil constitutionnel d’invalider le report de la présidentielle en février 2024.
C’est un pan de la justice qui s’effondre avec le décès du président du Conseil constitutionnel, Mamadou Badio Camara, à l’âge de 73 ans, hier dans la matinée, des suites d’une maladie. L'ancien Premier président de la Cour suprême a consacré plus de 40 ans de sa vie à la justice. Mamadou Badio Camara était un magistrat de renom, à l’engagement constant au service de la justice de son pays et au-delà. La levée du corps, informe un communiqué de la Cour suprême, est prévue aujourd’hui à 10 heures à la morgue de l’hôpital Principal et la prière mortuaire après la prière du vendredi à la mosquée Omarienne ; suivie de l’enterrement au cimetière de Pikine.
Sauveur de la présidentielle de mars 2024
Magistrat émérite, Mamadou Badio Camara, notamment l’institution qu’il dirigeait a marqué l’histoire récente du Sénégal. En effet, au crépuscule de son mandat, l’ancien chef de l’Etat, Macky Sall, avait décidé de renvoyer l’élection présidentielle du 25 février au 15 décembre 2024. Cette décision avait fait l’objet d’une levée de boucliers de responsables de l’opposition portée par le parti Pastef et la société civile, qui ont crié à un coup d’Etat constitutionnel. Cette décision était aussi à l’origine de manifestations politiques réprimées dans le sang. Bilan : quatre morts et des dizaines de blessés. C’est dans ce climat d’incertitudes que la décision du Conseil constitutionnel est tombée le 15 février 2024, pour invalider le report de la présidentielle ; en sus d’inviter le président Sall à organiser les élections dans les plus brefs délais. L’ancien président s’est plié à la décision des sages et a fixé le scrutin présidentiel au 24 mars 2024 qui a vu l’élection du président Bassirou Diomaye Faye. Une posture responsable et démocratique dictée par son engagement en faveur d’un Etat de droit qui avait sauvé le Sénégal d’un basculement certain dans la violence.
Un personnage parfois controversé
Cependant, en dépit de son cursus élogieux qui force le respect, le parcours de l’ancien président de la Cour suprême n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, parsemé de critiques dont les magistrats font souvent l’objet dans leur office. Accusé à tort ou à raison proche de l’ancien régime, il a été qualifié en 2018 par Karim Wade de bras armé du président Macky Sall dans le but d’instrumentaliser la justice contre ses opposants politiques. En 2020, alors qu’il était âgé de 68 ans, certains de ses collègues magistrats réclamaient son départ à la retraite et n’avaient pas manqué de le taxer « d’indéboulonnable ». L’épisode de son refus de se soumettre à la déclaration de patrimoine en 2016 avait également terni son image auprès des défenseurs de la transparence. Cependant, les accusations les plus récentes ont porté sur des faits supposés de corruption à l’encontre de deux magistrats de l’institution qu’il dirigeait à la veille de l’élection présidentielle.
La réplique aux pourfendeurs du Conseil constitutionnel et les conseils à BDF
Et, c’est lors de la cérémonie de prestation de serment du président Bassirou Diomaye, le 2 avril 2024, que Mamadou Badio Camara avait porté la réplique. « Le Conseil constitutionnel, face à ceux qui ont tenté de le déstabiliser par des moyens non conventionnels, a, au nom du peuple, dit le droit sans haine ni crainte », avait-il déclaré. Lors de cette cérémonie d’investiture, ses conseils avisés à l’actuel président de la République sonnent encore comme un viatique. « A l’heure ou surgiront les inévitables tentations du pouvoir, l'ivresse de la puissance, les démons de la division, il faudra se souvenir de la main de Dieu dont la volonté domine et détermine inéluctablement les moments que nous vivons », avait prodigué le président du Conseil constitutionnel qui n’avait pas manqué de formuler des prières en perspective de l’exploitation prochaine et porteuse d'espoir du pétrole et du gaz.
BDF salue le parcours d’un grand serviteur de l’Etat
A l’annonce de cette disparition, le président de la République a rendu hommage au président de cette prestigieuse institution. « J’ai appris avec tristesse le décès du Président Mamadou Badio Camara. Président du Conseil constitutionnel, il fut le Premier président de la Cour suprême. Je salue le parcours d'un grand serviteur de l'État et adresse mes condoléances à sa famille, à ses proches et à l'ensemble de la magistrature », témoigne le chef de l’Etat sur le réseau social X.
Pr Seydou Nourou Tall : « un homme très pieux, conscient de ses devoirs »
Pour sa part, le professeur Seydou Nourou Tall, qui a eu à travailler avec le défunt magistrat entre 2021 et 2023, retient de Mamadou Badio Camara un grand homme d'Etat. « C’était un grand homme. Malheureusement, au Sénégal, on ne connait les grands hommes que quand ils ont disparu. C’est quelqu’un qui a été aux plus hautes fonctions de la magistrature, un homme très pieux, très conscient de ses devoirs. Il a été même président du Comité des Nations-Unies et il a eu à effectuer un travail de très haut niveau dans certaines organisations internationales. C’est quelqu’un qui aussi a gravi tous les échelons de la magistrature. C’était un meneur d’hommes. C'était quelqu’un d’affable, de haute estime, de haute considération. C’est quand on se rapproche de l’homme qu’on perçoit sa personnalité, son engagement. C’était un homme d’Etat, qui sert l’état avec toutes ses forces physiques comme mentales », a ajouté Seydou Nourou Tall.
Parcours d’un haut magistrat qui a gravi tous les échelons
Haut magistrat, Mamadou Badio Camara a suivi un parcours exemplaire dans le domaine judiciaire. Diplômé de l'École nationale d'administration et de magistrature (Enam) en 1977, il n’a cessé de gravir les échelons de la justice sénégalaise. Ainsi, de 1977 à 1991, Mamadou Badio Camara a occupé des fonctions dans les tribunaux de Grande instance en tant que Substitut du procureur, Premier substitut au parquet de Dakar (1977 à 1984), procureur de la République à Kaolack puis à Ziguinchor, à partir de 1984. De 1991 à 1993, il a été Substitut général à la Cour d'appel de Dakar. De 1993 à 1998, il a été Procureur-adjoint à Dakar. Entre 1998 et 2008 conseiller puis secrétaire général à la Cour de cassation. Après la fusion du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation en 2008, il a été nommé à la Cour suprême Secrétaire général puis président de Chambre (2008 à 2013), puis Procureur général (août 2013) et enfin Premier président de la juridiction suprême en avril 2015. Au niveau international, Mamadou Badio Camara est ancien expert des Nations-Unies, membre de la Commission d'enquête sur la situation des prisonniers politiques au Burundi (Bujumbura, 1999-2000), et également ancien expert de l'Organisation Internationale de la Francophonie (Oif) pour des missions d'appui à la justice pénale en Haïti (2007 et 2008), ancien vice-président du Comité des Nations-Unies contre les disparitions forcées (Genève, 2011-2015).
M. CISS