Face aux attaques, le ministre de la Communication et de l’Économie numérique déroule un diagnostic sévère du secteur, défend ses réformes et répond aux accusations visant son ministère. Entre refonte législative, bataille contre les dérives en ligne, restructuration de La Poste et ambition pour la couverture numérique universelle, Alioune Sall a livré un plaidoyer sans concession.
Un secteur médiatique érigé « en quasi-non-droit »
Le passage du ministre Alioune Sall devant les députés, lors de l’examen du projet de budget 2026 de son département, a été électrique. Pris à partie sur la gestion du Cnra et les dérives médiatiques, le ministre a tenu d’emblée à lever les équivoques et mettre fin aux confusions entretenues. « Le Cnra n’est pas une émanation du ministère, mais une commission indépendante logée à la présidence de la République », rappelle Alioune Sall, visiblement lassé d'être tenu responsable de tous les dérapages médiatiques. Selon lui, l’essentiel des attaques qui lui sont adressées « procède d’une méconnaissance des prérogatives », rappelant aux députés leur obligation de maîtriser les lois qu’ils votent. Il insiste : « dire ici que le ministre est complice lorsque quelqu’un insulte sur une télé ou un réseau social relève de la désinformation ». Le ministre affirme avoir trouvé un secteur « en situation de quasi-non-droit », où la régulation était limitée, dépassée et fragmentée. Le Cnra ne s’occupant que de la radio et de la télévision, tout le reste c’est-à-dire réseaux sociaux, web Tv, sites d’information, avait échappé à toute autorité, créant un espace propice « à toutes les dérives ».
Vers une nouvelle Haute autorité de la communication
Pour combler ce vide, le gouvernement a engagé une réforme profonde du cadre législatif. « Le projet de loi créant une Haute autorité de régulation couvrant l’ensemble des supports médiatiques a été adopté en Conseil des ministres le 3 novembre et transmis à la Cour suprême. Si le calendrier est respecté, la loi sera examinée en procédure d’urgence à l’Assemblée nationale dans les prochaines semaines », annonce le ministre. Cette nouvelle architecture répond, selon lui, à la nécessité d’une régulation adaptée aux réalités numériques actuelles, où les contenus sensibles circulent plus vite que les autorités ne peuvent agir. « Fini les insultes derrière les claviers ! La justice pourra même s’autosaisir dans les cas de cyberharcèlement », prévient-il, mettant l’accent sur la protection des citoyens contre les abus en ligne.
Publicité numérique, un manque à gagner colossal pour le Sénégal
Autre chantier majeur évoqué par le ministre, c’est la réforme du système publicitaire. Il dénonce l’archaïsme d’une loi datant de 1983, totalement inadaptée à l’ère numérique. Dans le monde, explique-t-il, la publicité digitale pèse quelque 500.000 milliards F Cfa. Le Sénégal, lui, n’en capture « quasiment rien ». Un projet de loi sur la taxation des géants du numérique, les GAFAM et autres plateformes est en préparation. Le ministre renseigne que toutes ces initiatives consistent « à rééquilibrer les recettes publicitaires et offrir une bouffée d’oxygène à une presse nationale fragilisée ». « Le Fonds d’appui et d’aide à la presse, aujourd’hui à 1,9 milliard F Cfa, reste le seul outil de soutien. Mais nous voulons aller plus loin », explique Alioune Sall qui insiste toutefois sur un point : « le ministère n’a pas vocation à perfuser la presse, mais à l’accompagner vers un modèle économique viable », fait-il savoir.
Aide à la presse, un gâchis hérité et un assainissement assumé
Face aux accusations de rétention de fonds ou de règlements de comptes, le ministre se veut catégorique. « Nous n’avons bloqué aucun Fadp. Ce qui a été dit est simplement faux ». Il s’explique : « sur 1,8 milliard F Cfa destinés aux médias, près de 800 millions auraient été utilisés à d’autres fins dans le passé. Nous avons trouvé un système anarchique. Des individus avec un simple téléphone se déclarent avoir des médias pour percevoir des subventions. C’est inadmissible dans un pays sérieux », fustige-t-il. La digitalisation du processus d’octroi, la mise en place d’une cartographie claire des médias et la création d’un comité indépendant constituent, selon lui, des garanties nouvelles de transparence. « Nous ne faisons qu'appliquer les lois votées par l’Assemblée, mais jamais respectées », insiste-t-il.
Recouvrement des redevances, de 85 millions à plus de 6 milliards
Le ministre se félicite également d’un tournant majeur qui est le recouvrement des redevances dues à l’État par les entreprises de presse. « Alors que les recettes plafonnaient à 85 millions F Cfa, elles ont bondi à plus de 6 milliards en 2025. Pendant près de 18 ans, beaucoup de médias ne payaient rien ou presque. Comment peut-on alors nous reprocher de recouvrer ce qui est dû à l’État ? », s’interroge-t-il. Ce surplus servira notamment à financer la création de contenus locaux adaptés aux réalités socioculturelles du pays.
Internet pour tous, l’ambition de la couverture universelle
Le président de la République a, selon lui, porté cette idée forte, la constitutionnalisation de l’accès à internet, révélatrice d’une vision moderne de l’État. Le plan prévoit « un mix inédit entre fibre optique et technologie satellitaire, permettant de couvrir chaque parcelle de terre du Sénégal » d’ici fin 2026. A l’en croire, le gouvernement « veut connecter gratuitement un million de Sénégalais, en ciblant les zones frontalières, les écoles rurales, les postes de santé, les dispensaires et les structures administratives en zone reculée. C’est une priorité nationale, les élèves sont une couche vulnérable que l’État doit accompagner », insiste Alioune Sall.
Digitalisation des services, un guichet unique pour simplifier la vie des citoyens
Pour rapprocher l’État du citoyen, le ministère compte mettre en place un guichet numérique unique, initialement prévu pour novembre. Sa mise en service a été retardée pour intégrer l’acte d’état civil, notamment les certificats de naissance, très demandés. « Près de 80% des demandes concernent le casier judiciaire et l’extrait de naissance. Il fallait donc commencer par-là », explique le ministre, qui promet une réduction drastique des lenteurs administratives.
La Poste, un géant au bord du gouffre
C’est le dossier le plus brûlant, et le ministre ne l’a pas esquivé. La Poste a été héritée dans un état « désastreux », selon lui, marqué par « une hausse des effectifs de 60% entre 2012 et 2021 sans aucune amélioration de productivité, une masse salariale gonflée de 40%, un chiffre d’affaires en chute libre de 60%, un déficit dépassant les 100 milliards F Cfa, des capitaux propres négatifs de 156 milliards F Cfa. C’est le résultat d’une mauvaise gouvernance et d’une irresponsabilité de dirigeants qui ont coulé un patrimoine national », dénonce Alioune Sall. Face à cette situation, l’État aurait pu choisir la solution radicale, c’est-à-dire, « déclarer la faillite, repartir à zéro et licencier massivement. Cela aurait coûté 3 milliards F Cfa, mais nous avons refusé de sacrifier 4000 employés », dit-il.
Toutefois, il renseigne que « le plan de départ volontaire proposé initialement, de 30 milliards pour 1500 agents, a été renégocié à 48 mois, mais les discussions restent tendues. L’exécutif assure toutefois privilégier le dialogue et la préservation du climat social. La Poste reste un patrimoine national. Son redressement nécessitera des mesures difficiles mais indispensables », réaffirme le ministre.
Le budget a été finalement voté par la majorité. Il est arrêté à 85 milliards de francs Cfa.
Baye Modou Sarr