Il a supplié qu’on l’aide, il est mort dans l’indifférence. Abdallah Dramé, jeune homme fauché par un double accident de la route à Dakar, est décédé le 14 juin 2025 à l’hôpital Principal. Non pas des suites directes de l’accident, mais d’un abandon médical. Un drame révoltant, symptomatique d’un système de santé à bout de souffle, où l’humain semble avoir perdu toute valeur.
Le samedi 7 juin 2025, jour de Tabaski, Abdallah Dramé, jeune Dakarois, est victime d’un accident de la route. Renversé par une première voiture en fuite, puis traîné sur plusieurs mètres par une seconde, son corps est brisé : clavicule, hanche, cheville, tout est fracturé. Mais Abdallah est lucide, courageux. Il choisit, en toute confiance, d’être admis à l’hôpital Principal, pensant y recevoir des soins dignes. Ce qu’il y vivra relèvera du supplice.
Quatre jours de silence et de souffrance
À l’hôpital, pas de chirurgien. Tous sont en congé pour la Tabaski et le lundi de Pentecôte. Aucune relève. Aucun protocole. Pendant quatre jours, Abdallah reste allongé, sans opération, sans traitement adapté. On lui administre seulement des antidouleurs, comme pour faire taire sa douleur. Quand il appelle à l’aide, les infirmières finissent par l’ignorer. L’une d’elles lui dira même : «yow, da nga commencer bari jambatt torop» («Tu exagères, tu pleurniches trop»).
Un appel à l’aide resté sans réponse
Le 14 juin au matin, Abdallah ne peut plus respirer. Il appelle à l’aide, personne ne vient. Il appelle sa sœur pour qu’elle intervienne. Quand elle supplie les soignants d’agir, on lui répond : «Yeenagi nuy bëg sonal ak Abdallah Dramé, barina caprices» («On en a assez d’Abdallah Dramé, il est trop capricieux»). Sa mère arrive plus tard, voit son fils le torse enflé, en détresse respiratoire. Elle implore qu’un médecin le voie. On la rabroue, lui rappelant qu’elle a déjà dépassé les "5 minutes réglementaires" de visite. 15 minutes plus tard, son fils l’appelle une dernière fois. Il ne sent plus l’oxygène monter. Il supplie qu’on l’aide. Personne ne bouge.
Quelques instants après, elle découvre que son fils n’est plus sur son lit. On lui annonce avec désinvolture : «Yallah defna li geun ci moom» (Dieu a fait ce qu’il y a de mieux pour lui). Abdallah est mort. Pas à cause de ses fractures. Pas à cause de son accident. Mais à cause d’un abandon pur et simple. D’un mépris médical total.
Un hashtag devenu cri national
Depuis l’annonce du décès d’Abdallah Dramé, les réseaux sociaux sont en ébullition. La nouvelle a provoqué une vague de colère et d’incompréhension à travers le pays. De nombreux internautes, choqués, ont partagé leur indignation. «Abdallah est mort faute de soins, dans un hôpital public. Ce n’est pas une tragédie, c’est une honte nationale», écrit A. B. sur Facebook. «Il a crié, il a supplié, il a alerté. Et on lui a dit qu’il faisait des caprices ?», s’indigne Kh. S. sur X. Pour M. D., la question est simple : « comment peut-on expliquer qu’il n’y ait aucun médecin disponible pendant quatre jours ? Même les cliniques de quartier assurent une permanence.» Un autre internaute, F. N., résume avec amertume : «si tu n’as pas de bras long, tu n’as pas le droit de souffrir. Même ton cri ne traverse pas les murs de l’hôpital.» D. K., visiblement bouleversée, écrit : «ce garçon a appelé sa sœur pour survivre. Ils ont osé dire que sonal na torop, qu’il fatigue trop. Qui fatigue qui dans ce pays ?». Un tweet largement partagé évoque le silence du personnel : «il est mort seul, brûlé, fracturé, sans oxygène, pendant que certains fêtaient Tabaski. Aucun système de garde, aucun plan. Rien.». L. partage cette scène glaçante : «sa mère l’a cherché du regard à travers la fenêtre, il n’était plus sur son lit. On lui a simplement dit : Yalla defna li geun. »
Et puis ce mot qui revient sous toutes les publications, comme un cri collectif : #JusticePourAbdallah.
Khadidjatou D. GAYE