Après la publication du rapport de la Cour des comptes tant attendu suivi d’un débat politico-judiciaire, le coordonnateur du Forum civil est sans complaisance. Birahime Seck appelle le président de la République et le Premier ministre à ne protéger personne. Il a aussi pris la défense de la Cour qu’il considère subir un jugement injuste de la part de politiques.
«Si un travail complémentaire et approfondi est réalisé par les juridictions compétentes, les résultats peuvent éclabousser des tenants du régime actuel. La vérité voudrait que la justice mène des enquêtes pour édifier les Sénégalais sur les Dépôts à terme (Dat) virés à des tiers (page 32). Qui sont les ministres impliqués ? C’est quoi leur niveau de responsabilité ? Pourquoi les Dat n’ont pas été virés au Trésor public ? Qui sont les donneurs d’ordre ? On parle ici de 141 milliards quand même. Les Sénégalais méritent aussi de connaître le fondement du gap de trésorerie d’un montant de 114,4 milliards dans le cadre de l’opération du Sukuk Sogepa (page 33 à 36). Va-t-on croiser les bras pour ne pas situer les responsabilités ? Le peuple sénégalais ne mérite-t-il pas de savoir ? Les constatations de la Cour des comptes présentées ici sont loin d’être exhaustives. A ce stade, il est important de louer le travail effectué par la Cour des comptes et d’œuvrer à son renforcement. Maintenant, le travail réalisé par la Cour des comptes doit être complété et approfondi, en toute indépendance, par les juridictions pénales au nom de la transparence et de la lutte contre les flux financiers illicites. Les constatations faites pour la Cour des comptes tout au long du rapport et dans sa conclusion (page 45) sont interpellatives et très sérieuses». C’est la conviction de Birahime Seck sur la conduite à tenir pour faire la lumière sur le rapport de la Cour des comptes.
Le Coordonnateur du Forum civil section sénégalaise de Transparency International a fait ce constat à l’occasion d’un colloque régional sur les enjeux et mécanismes de lutte contre la corruption, l’évasion fiscale et les flux financiers illicites (FFI) en Afrique de l’Ouest. La rencontre organisée par la Cenozo, s’est tenue du 17 au 18 février 2025 à Cotonou (Bénin). Birahime Seck faisait un diagnostic sans complaisance du rapport de la Cour des comptes publié 13 février 2025. S’adressant au président de la République, Bassirou Diomaye Faye et au Premier ministre, Ousmane Sonko, le coordonnateur du Forum civil les appelle à livrer à la justice toute autorité incriminée. «Nous comptons sur l’engagement du président de la République et de son Premier ministre. Ils ne doivent protéger personne», sollicite Birahime qui s’offusque : «la Cour des comptes a présenté un massacre financier et budgétaire traumatisant venant surtout d’une administration financière présentée comme l’une des meilleures en Afrique», fait-il savoir.
Toutefois, il invite les acteurs à ne pas se verser dans un débat politicien, mais à étudier froidement ce rapport pour tout corriger. « La valeur ajoutée générée par les constatations de la Cour des comptes est plutôt technique. Elle est loin, très loin d’être politique. Le débat politicien ne doit pas prendre le dessus sur le besoin de vérité concernant la dette bancaire importante contractée hors circuit budgétaire, la dette garantie non exhaustive, l’encours de la dette supérieur au montant figurant dans les documents de reddition, les tenants et les aboutissants des mouvements autour des 15 milliards impliquant le Trésorier général, l’emprunt non autorisé par la loi de finances (page 30), les dépenses effectuées sans couverture budgétaire, le reliquat de l’emprunt obligataire de 2022 (114 milliards) non versé au Trésor public», liste-t-il
Face aux critiques de toutes parts contre les magistrats de la Cour, Birahime Seck invite le peuple à s’ériger en bouclier pour les protéger et les défendre. « Contrairement aux idées qui sont véhiculées par les détracteurs de la Cour des comptes, le rapport publié le 13 février 2025 n’épargne personne dans la chaîne de responsabilité pour la période de gestion 2019 à mars 2024. Il s’adresse aux décideurs politiques, aux décideurs techniques, aux banques, aux tiers, à l’Assemblée nationale etc. elle n’a pas manqué de titiller des intérêts névralgiques de plusieurs centres d’intérêts. Il appartient, donc, aux citoyens d’exiger du Gouvernement et de la justice successivement des réformes et des poursuites. Le citoyen doit être le bouclier de la Cour des comptes contre toute tentative de manipulation politicienne en exigeant des clarifications sur l’ensemble des constatations effectuées par la Cour en matière de recettes, de dépenses budgétaires, de gouvernance des comptes spéciaux du trésor et en matière de mauvaise gouvernance dans la gestion de la trésorerie et de l’endettement », lance M. Seck qui ajoute : « il faut relever que la Cour des comptes ne peut travailler que sur la base de documents produits par le ministère des Finances et du Budget. Ces documents retracent les opérations dont les comptables publics sont assignataires. A cet effet, toute autre information qui n’entre pas dans ce cadre n’est pas comprise dans les documents de reddition des comptes et n’engage donc pas la Cour des comptes. De façon générale, les pièces sur lesquelles la Cour des comptes travaille sont le compte administratif de l’ordonnateur, le compte général de l’administration des finances, les comptes individuels des comptables principaux, les projets de lois de règlement, les lois de finances de l’années, les décrets d’avance etc. », précise M. Seck.
Spécialiste des questions de finance, Birahime Seck, contrairement à beaucoup, loue le travail effectué par la Cour. « La Cour des comptes est restée fidèle à sa démarche. En matière de recettes du budget général, la Cour des comptes est loin de se dédire. Il est facile de le constater à la page 10. La Cour des comptes dit : ‘’l’analyse des recettes fait ressortir une concordance entre les données sur les recettes retracées dans le rapport et les lois de règlement/projet de loi de règlement 2023. En effet, les montants globaux des recettes de 2019 à 2023 tels que présentés au ‘’tableau n°1’’ du rapport sur la situation des finances publiques sont conformes à ceux arrêtés par les lois de règlement sur la même période’’. C’est dans l’analyse de ces données que la Cour des comptes a constaté quelques anomalies relatives aux ‘’rattachements irréguliers de recettes (page 11), à une situation non exhaustive de restes à recouvrer évalués à 669,9 milliards de F Cfa (page 12). Poursuivant son analyse, la Cour des comptes présente les manquements notés dans l’évaluation des dépenses fiscales (pages 12, 13 et 14). A ce niveau, il faut rappeler que le Forum civil a toujours demandé la publication des rapports sur les dépenses fiscales mais aussi leur rationalisation. La Cour des comptes a été toujours attentive sur les obligations de l’Etat à publier à temps les rapports sur les dépenses fiscales ainsi qu’à leur exhaustivité, en atteste les constatations figurant dans son rapport n°028/CC/CABF/G du 13 juillet 2021 sur le Contrôle des recettes issues du secteur minier (2015-2018) de la page 65 à 69 », argue le coordonnateur du Forum civil qui invite le nouveau régime à publier « les rapports sur les dépenses fiscales 2022 et 2023 qui ne sont pas encore mis à la disposition du public. Cette obligation incombe ainsi au nouveau régime au vu des retards enregistrés », souligne-t-il.
Face au tollé causé par ce rapport, Birahime Seck s’interroge. « Au regard de ces constatations, va-t-on succomber devant le brouhaha politicien pour garder sous silence la perte de centaines de milliards ? L’Etat doit rester fort et déterminé pour identifier les responsabilités. C’est aussi valable pour les constatations de la Cour en matière de dépenses publiques. En matière de dépenses du budget général, la Cour des comptes a aussi ’’fait ressortir une concordance entre les montants figurant au tableau n°7… du rapport sur la situation des finances publiques et ceux arrêtés par les LR/PLR’’ », dit-il.
Dans sa logique de défense de la Cour, Birahime Seck épluche le rapport de 2022 où la Cour a évoqué plusieurs manquements. Il analyse ce dit rapport. « La Cour des comptes a présenté un massacre financier et budgétaire traumatisant venant surtout d’une administration financière présentée comme l’une des meilleures en Afrique. Les constatations faites par la Cour des comptes sur la gestion de la trésorerie et de l’endettement doivent aussi pousser le Gouvernement à faire éclater la vérité. Aucune réforme pertinente ne peut s’opérer sans situer les responsabilités à ce niveau. C’est la moindre des choses. A la page 17 du rapport de 2022 sur la gestion de la dette pour la période 2018-2020, la Cour des comptes avait bien mis en exergue la défaillance du système d’information, des risques de discordance entre données de l’ordonnateur et celles du bailleurs, du défaut de rapprochements bancaires, la faiblesse des activités de contrôle des opérations de la Dodp, de l’absences de cadre de concertation dans la gestion des prêts projets, absence de manuels de procédures et de cartographie des risques ; insuffisance dans la gestion des prêts projets, écarts entre fichiers de suivi et pièces justificatives, non concordance des tirages entres la Ddp et la Dodp, insuffisances dans la gestion des bons et obligations etc.».
Après avoir fait son analyse du rapport, le coordonnateur du Forum civil fait ses recommandations. « L’Etat du Sénégal doit élaborer une politique claire en matière de lutte contre la corruption au sein de l’administration, avec comme socle la redevabilité et l’accès à l’information. Va-t-on croiser les bras pour ne pas situer les responsabilités ? Le peuple sénégalais ne mérite-t-il pas de savoir ? Les constatations de la Cour des comptes présentées ici sont loin d’être exhaustives. A ce stade, il est important de louer le travail effectué par la Cour des comptes et d’œuvrer pour son renforcement. Maintenant, le travail réalisé par la Cour des comptes doit être complété et approfondi, en toute indépendance, par les juridictions pénales au nom de la transparence et de la lutte contre les flux financiers illicites. Les constatations faites pour la Cour des comptes tout au long du rapport et dans sa conclusion (page 45) sont interpellatives et très sérieuses. La lutte contre la corruption au sein de l’administration doit être un préalable pressant. Elle passe par le renforcement des corps de contrôle interne (Direction et Inspection de contrôle interne), d’un système comptable fiable et sophistiqué. La lutte contre la corruption au sein de l’administration nécessite un portage citoyen solide et durable et non populiste. Il faut l’implication de tous les acteurs porteurs de dynamiques de changement. Pour la réussir, il faut, déjà, gouverner par l’exemple dans l’humilité, la sobriété et sans arrogance », conclut Birahime Seck.
Baye Modou SARR