Au Mali, les propos d’Emmanuel Macron sur les caricatures suscitent tensions et inquiétudes à Bamako



 
 

Dans la capitale malienne, îlot de sécurité dans un pays ravagé par les violences, des rumeurs circulent sur le risque d’attaques contre des expatriés.
 

A l’heure où, dans certains pays, on brûle des drapeaux français, où les appels au boycott des produits tricolores se multiplient, et alors qu’un vigile du consulat français en Arabie saoudite s’est fait poignarder jeudi 29 octobre, des flammèches de contestation s’étendent à travers le Mali, en réaction aux propos d’Emmanuel Macron sur la publication des caricatures de Mahomet. Dans la matinée de jeudi, des portraits du président français, grimé en chien, ont été brûlés par des manifestants à Kidal, ville sahélienne du nord-est du Mali.

La manifestation a eu lieu à quelques encablures d’une des bases militaires de la force « Barkhane », la principale opération extérieure française, dans le cadre de laquelle 5 100 militaires sont engagés dans la lutte contre le terrorisme. « Cela a duré une heure », relate un habitant de la localité, évoquant une centaine de jeunes.
La veille, plus d’un millier de personnes s’étaient rassemblées à l’intérieur et aux alentours de la grande mosquée de Bamako à la demande du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM). Contrairement aux mouvements de colère de novembre et décembre 2019 − quand la politique française au Mali était conspuée par une poignée de mécontents −, il s’agissait, cette fois, de « dénoncer l’affaire et de montrer la position unifiée des musulmans du Mali sur le refus catégorique de toucher au prophète, l’élu, avec la moindre insulte », selon un communiqué. « A l’aube d’un grand bouleversement »

« Nous ne renoncerons pas aux ­caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent », avait promis Emmanuel Macron, mercredi 21 octobre, lors de l’hommage rendu à Samuel Paty, l’enseignant décapité à Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre. « C’est une déclaration qui a mis le monde musulman en ébullition », observe Mahmoud Dicko, figure de proue très conservatrice de l’islam au Mali. « Emmanuel Macron est un grand responsable de ce monde contemporain, il n’avait pas besoin d’une telle déclaration. Les dirigeants doivent réfléchir car le monde a besoin que les hommes se comprennent », développe l’imam à la sortie de la manifestation pacifique, prédisant que « nous sommes à l’aube d’un grand bouleversement ».

Le rassemblement à la grande mosquée s’est tenu au lendemain du procès devant la cour d’assises antiterroriste de Bamako, de Fawaz Ould Ahmed, « Ibrahim 10 » de son nom de guerre. Condamné à mort pour avoir exécuté cinq personnes – un Français, un Belge et trois Maliens – le 7 mars 2015, dans le restaurant de Bamako La Terrasse, et commandité l’attentat de l’hôtel Radisson Blu, le 20 novembre de la même année, le djihadiste a expliqué, lors de l’audience, avoir agi « à cause de Charlie Hebdo ».
Il a ajouté « être fier de ses actes » mais a voulu s’excuser « envers les familles maliennes qu’[il a] heurtées ». Ancien lieutenant de Mokhtar Belmokhtar, l’homme au visage balafré issu de rangs du groupe terroriste Al-Mourabitoune, a dit compter sur ses « frères » pour poursuivre son action. « Beaucoup d’entre eux connaissent mieux Bamako que les Bamakois eux-mêmes et ils sont armés », a-t-il averti lors de l’audience.

Dans la capitale malienne, bulle de sécurité dans un pays ravagé par les violences depuis plusieurs années, les rumeurs d’attaque à venir contre des expatriés circulent et les recommandations se multiplient sur les téléphones. Pour ne pas s’exposer, certaines organisations non-gouvernementales (ONG) ont imposé un couvre-feu ou un confinement à leur personnel le jour du rassemblement. En parallèle, des événements culturels censés avoir lieu le week-end ont été reportés. « Nous recevons, depuis vingt-quatre heures, des messages de personnes qui nous informent qu’il leur a été conseillé d’éviter les lieux publics », justifie un communiqué.
« Menace imprévisible »

Mais une attaque, qu’elle soit spontanée ou préméditée, solitaire ou groupée, « c’est le genre de menace qui est imprévisible, remarque une source sécuritaire. Soit on entre dans la paranoïa et on verrouille tout, soit on vit plus ou moins tranquillement car il n’y aura pas de problème avec 99,9 % des Maliens. Le problème viendra du 0,1 % qu’on ne pourra pas prévoir ». La dernière attaque remonte à juin 2017, au Campement Kangaba, un espace hôtelier prisé par la communauté expatriée, où neuf personnes avaient été tuées.

Depuis la libération de 204 personnes arrêtées pour faits de terrorisme contre la libération des otages Sophie Pétronin, Soumaïla Cissé, Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli, le 13 octobre, la branche sahélienne d’Al-Qaida − connue sous son acronyme arabe JNIM, ou Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) − a plusieurs fois mis en garde la France. S’adressant aux Maliens le 14 octobre, la formation terroriste évoquait « l’occupation française qui crie son hostilité à l’islam » et appelait les hommes « capables parmi vous à faire le djihad et à soutenir les moudjahidines du JNIM ».
Peu de temps avant l’assassinat de trois personnes à Nice, jeudi 29 octobre, qualifié d’attaque « terroriste islamiste » par Emmanuel Macron, un communiqué en date du dimanche 25 octobre publié par Thabat, l’agence qui diffuse les nouvelles des différentes branches d’Al-Qaida, incitait les musulmans à « commettre des attaques en France ou à l’étranger avec tous les moyens disponibles »« Charlie Hebdo, ils sont en France, mais les moudjahidines n’ont pas les moyens de se rendre là-bas et tous les Blancs qui arrivent ici sont des amis de la France », a prévenu « Ibrahim 10 » lors de son procès.


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