En présentant le budget 2026 de son ministère devant les députés, le ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Réforme du service public, Olivier Boucal, a tenté de désamorcer les inquiétudes liées aux conditions de travail, à la gestion des carrières, aux rémunérations et à la gouvernance de l’administration. Durant une plénière dense et parfois tendue, le ministre a multiplié les clarifications et mis en avant une série de réformes destinées à renforcer la transparence, rétablir l’équité et améliorer l’efficacité de l’État.
Un diagnostic lucide pour répondre aux préoccupations parlementaires
Dès l’ouverture de son intervention, Olivier Boucal a reconnu les limites du système actuel, notamment en matière de conditions de travail, sujet régulièrement porté par les élus, les syndicats et les travailleurs eux-mêmes. Il a rappelé que la problématique est « transversale », touchant autant le secteur privé souvent pointé du doigt pour le non-respect de la législation que le secteur public, où les lenteurs administratives et la faiblesse des capacités de contrôle sapent la confiance des agents. Pour illustrer ces entraves, le ministre a insisté sur les contraintes que subissent les inspecteurs du travail, dont l’action reste bridée par un arsenal juridique insuffisant. « On prête parfois à l’inspecteur du travail un pouvoir qu’il n’a pas. Il ne sanctionne pas : il dresse un procès-verbal et transmet au procureur de la République ». Cette procédure, qui peut s’étirer sur deux ou trois ans, décourage selon lui nombre de travailleurs lésés.
Face aux députés, Boucal a réaffirmé que le nouveau Code du travail, actuellement en examen à la Cour suprême, constitue la réponse structurelle attendue. Il doit accorder plus d’initiative aux inspecteurs, permettre des interventions plus rapides et rendre la régulation du marché du travail plus effective. « Nous espérons qu’il sera adopté d’ici la fin de l’année », a-t-il assuré.
Salaires, carrières, indemnités, le ministre dégonfle les tensions sociales
L’un des points les plus sensibles du débat a porté sur les rémunérations des agents publics. Contrairement à une perception largement répandue, Olivier Boucal a soutenu que les salaires « n’ont jamais stagné », rappelant les augmentations intervenues depuis 2022 et les révisions périodiques appliquées « tous les trois à cinq ans ». Il a également tenu à rassurer sur la question des perspectives de carrière, inégales selon les corps et sources récurrentes de revendications sectorielles. Sans nier les disparités, il a insisté sur l’existence de mécanismes d’évolution et sur la volonté gouvernementale de mieux harmoniser les trajectoires professionnelles.
L’un des chantiers les plus attendus demeure la généralisation de l’indemnité de logement, engagée après un accord conclu en 2022 avec les syndicats. Le ministre des Finances, présent lors des débats, a confirmé que le projet de décret a déjà suivi l’ensemble du circuit de validation : il ne manque plus que « les signatures finales » pour déclencher les paiements.
Sur le terrain sensible des pensions et de la retraite, Olivier Boucal a mis en avant une « avancée notable », la possibilité pour un fonctionnaire de percevoir sa pension dès le mois suivant son départ, grâce à un dispositif d’anticipation mis en place notamment pour les retraités du Fnr. Une mesure destinée à réduire l’incertitude qui entourait traditionnellement cette étape.
Une réponse à une vieille injustice, la régularisation des agents décisionnaires
C’est l’un des sujets qui a le plus retenu l’attention des députés. Longtemps dénoncée comme une situation profondément inéquitable, la condition des agents décisionnaires formés dans les mêmes écoles, titulaires des mêmes diplômes et exerçant les mêmes fonctions que les fonctionnaires a enfin trouvé une issue. Olivier Boucal a confirmé que deux décrets ont été adoptés en Conseil des ministres, permettant leur intégration et leur avancement dans les mêmes conditions que les agents fonctionnaires. « Dès leur publication, la Fonction publique prendra immédiatement les actes administratifs nécessaires », a-t-il assuré, soulignant la portée symbolique et sociale de cette régularisation.
Un discours pour désamorcer la crispation sociale
En multipliant les éclaircissements et en mettant en avant le langage de vérité prôné par le Premier ministre, Olivier Boucal a cherché à calmer les inquiétudes et à installer un climat de confiance. « Nous n’attendons pas la grève pour dialoguer. Le dialogue social est permanent », a-t-il conclu, rappelant la dynamique de concertation instaurée avec les partenaires sociaux. Reste désormais à transformer les annonces en actes. Les prochains mois seront décisifs pour mesurer l’impact réel de ces réformes sur la modernisation de l’administration et la pacification du climat social.
Transparence et gouvernance, la réforme profonde des recrutements
Pour renforcer la confiance et lutter contre les soupçons de favoritisme, une refonte globale des mécanismes d’accès à la Fonction publique est engagée. Le ministre a annoncé l’élaboration de deux lois majeures. « Une loi sur l’accès à la Fonction publique, une loi sur les appels à candidatures », informe-t-il les parlements qui doivent les voter dans les mois à venir. Ces instruments doivent garantir « transparence, équité et mérite », conformément au principe « Jub Jubal Jubbanti » promu par le gouvernement.
Autre innovation annoncée par le ministre de la Fonction publique, « l’introduction de tests d’aptitude pour les recrutements hors concours, une manière d’assurer un minimum d’exigence et de professionnalisation dans les filières ne relevant pas des concours classiques ».
Un audit général pour voir clair dans les effectifs de l’État
Face aux critiques sur l’opacité et l’inefficacité du système actuel, Olivier Boucal a déclaré que l’audit général des ressources humaines de l’État débutera mardi prochain. Tous les organes nécessaires ont été installés, selon lui ; il ajoute que la mission est claire. « Identifier d’éventuels emplois fictifs ; maîtriser la masse salariale, jugée très élevée par le ministère des Finances ». Le ministre n’a pas caché sa surprise devant l’absence d’un système intégré de gestion des ressources humaines depuis l’indépendance du pays. « Le ministère de la Fonction publique n’a aucune maîtrise réelle des effectifs, et cela n’est pas acceptable. Un État ne peut pas fonctionner ainsi », a-t-il martelé. Cet audit doit déboucher sur la mise en place d’un système unifié, présenté comme une révolution administrative.
Inclusion sociale, digitalisation et travail informel, l’élargissement du champ social
Pour répondre aux interpellations sur l’emploi des personnes en situation de handicap, le ministre a rappelé que le Sénégal dispose d’un cadre légal exigeant avec 15% des postes doivent leur être réservés dans la Fonction publique. Si l’anonymat des concours limite la faisabilité, il a mis en avant la plateforme dédiée permettant l’identification et le classement des candidats concernés. Sur la question de l’équité de genre, les statistiques dévoilées montrent encore une margination notable. « Les femmes ne représentent que 24% des effectifs de l’administration, et seulement 8% de la hiérarchie A. Pour y remédier, l’Académie ‘’Ndatté Yalla’’, créée en 2024, a pour mission d’encadrer et de former les femmes aux responsabilités supérieures », révèle M. Boucal.
Le ministre a enfin évoqué les mesures destinées à structurer les travailleurs du secteur informel en organisations syndicales, afin de permettre leur enrôlement dans les régimes de protection sociale. Une initiative présentée comme un tournant dans la lutte contre la précarité.
Vote massif et climat apaisé, le budget adopté sans heurts
Au terme des débats, le budget 2026 du ministère fixé à 11,96 milliards F Cfa en Ae et 11,68 milliards F Cfa en Cp a été adopté par 128 voix sur 136 votants, avec seulement trois oppositions et aucune abstention.
Baye Modou SARR