Au bout d’une apnée de plus d’un mois, la démocratie sénégalaise reprend enfin son souffle et tente, tant bien que mal, de respirer à pleins poumons. C’est certes caricatural, mais ce qu’a vécu le pays de Senghor, qui a quitté le pouvoir avant terme, de Diouf, père du multipartisme intégral et de Wade, qui a porté la plupart des avancées démocratiques, durant cette parenthèse d’étouffement, doit être analysé froidement afin de tirer les bonnes leçons et repartir du bon pied. Pour dire, plus jamais ça.
Le Sénégal a retardé d’un mois l’élection de son président de la République. Si le fait est inédit, la responsabilité en incombe assurément aux autorités en charge de son organisation, au premier chef le président de la République, son gouvernement, mais aussi celles qui en ont le contrôle du processus à travers la Cena, et enfin les juges électoraux que sont les sages du Conseil constitutionnel.
En tant que clé de voûte des institutions, bénéficiant de pouvoirs énormes, le chef de l’Etat, le Président Macky Sall, a mis un frein au processus électoral le 5 février, à quelques heures du démarrage de la campagne électorale. Auparavant, des parlementaires du Parti démocratique sénégalais, dont le candidat Karim Wade a été recalé pour double nationalité, avaient initié une commission d’enquête parlementaire sur des soupçons de corruption et autres à l’encontre de deux juges du Conseil constitutionnel. Un emballement qui a immédiatement produit un échauffement du front social, suscitant des manifestations violentes, surtout lorsque l’Assemblée a adopté par sa majorité et ses nouveaux alliés de Wallu une proposition de loi prorogeant le mandat du président .de la République en reportant l’élection au 15 décembre 2024 Le tollé fut alors à son comble et le bilan macabre. Quatre jeunes gens perdent la vie dans les manifestations. Heureusement que le Conseil constitutionnel, saisi par des députés de l’opposition, rejettera aussi bien la loi de prorogation que le décret d’abrogation de la convocation du collège électoral. C’était le 15 février. Même s’il a aussitôt affirmé s’en tenir à la décision des sages, le Président Macky Sall a trop lambiné, finissant par instaurer un dialogue « national » d’où sortiront des propositions d’élection au 2 juin et de maintien du président sortant jusqu’à l’élection de son successeur. Ce que rejettera encore une fois le Conseil constitutionnel, pour donner d’une part raison aux candidats retenus qui l’avaient saisi pour carence du chef de l’Etat, fixant l’élection au 31 mars et, d’autre part, revenir sur cette date pour épouser celle fixée par le Président Sall au 24 mars.
Le Conseil constitutionnel gade le temple
Fin donc du feuilleton, où le Président Sall s’est retrouvé acculé dans les cordes par un Conseil constitutionnel longtemps vilipendé pour avoir conduit un processus biaisé, lors duquel les parrainages et leur contrôle n’ont satisfait personne. Sauf que dans cet exercice, le fichier à la base du travail du juge électoral a été fourni par le ministère de l’Intérieur. Et dans ce fichier, il est à retenir que quelque 900.000 parrains, citoyens disposant de leur carte d’identité avec centre et bureau de vote, ne figuraient pas sur ledit fichier. Mais aussi que la Commission électorale nationale autonome (Cena) disposait à la même période d’un fichier qui n’est pas à jour. Pour dire que la chaine administrative allant de la Présidence au ministère de l’Intérieur et ses démembrements a lamentablement failli. Le processus électoral qu’ils ont initié a été biaisé dès les fiches de parrainages, sous le regard d’une Cena dont les velléités de rectification ont vite été étouffées et ses membres remerciés et immédiatement remplacés. Les postures de la Direction générale des Elections, puis de la Caisse des dépôts et consignation en ont choqué plus d’un à propos du candidat Ousmane Sonko. La suite, on la connait.
Makhtar Cissé attendu au coin du bois
Aujourd’hui, le Sénégal essaie de se remettre sur ses deux pieds pour reprendre sa marche démocratique. Le Président Macky Sall semble désormais bien accepter d’organiser l’élection présidentielle avant la fin de son mandat, puisque la date du premier tour est fixée au 24 mars. Un nouveau gouvernement est mis en place et le Premier ministre promet que toutes les passations de service se feront lundi 11 mars. A quelques jours du 2 avril, fin du mandat, ce gouvernement n’intéressera qu’à travers les activités du ministère de l’Intérieur, où vient d’être nommé Mouhamadou Makhtar Cissé. C’est vrai qu’on ne lui connait pas une très forte coloration politique, mais il sera attendu sur ses actes pour mériter la confiance des candidats.
Le Sénégal sort en tout cas progressivement d’une passe difficile. Mais tout n’est pas joué, car le temps qui nous sépare de la date du scrutin est compté et qu’il faut mettre en place toute la logistique indispensable à un bon déroulement du vote dans toutes les localités du pays et dans la diaspora.
Mansour KANE