ARTS SCENIQUES : Le Théâtre de la Mascara et la Compagnie Grand Écart relancent la dynamique théâtrale au Sénégal




 
En résidence à Dakar, la compagnie française Le Théâtre de la Mascara et la jeune troupe sénégalaise Grand Écart présentent « L’Arbre et la jeune fille », un conte théâtral puissant qui interroge la société contemporaine. Une collaboration artistique qui porte autant la mémoire du passé que l’ambition d’un renouveau culturel au Sénégal.
 
 
 
Depuis 1974, la compagnie française Le Théâtre de la Mascara, basée dans le sud de l'Aisne, à 80 kilomètres au nord-est de Paris, s’est imposée comme un acteur majeur du théâtre populaire. Cinquante et une années d’existence, un théâtre de 120 places installé au cœur d’un village de 2500 habitants, des créations régulières, des ateliers pour enfants, adolescents et adultes, et un festival annuel de jeunes créations devenu une référence.
C’est dans cet esprit de transmission et d’ouverture qu’est née la rencontre entre la compagnie française et les artistes sénégalais Moustapha Mboup et Abdoulaye Seydi. Une rencontre qui remonte à plusieurs tournées menées en France et au Sénégal, notamment autour du spectacle « Les Âmes oubliées », inspiré de l’histoire des tirailleurs sénégalais tombés sur le Chemin des Dames en 1917, dans le département même où se trouve le théâtre de la Mascara. Joué jusqu’au cœur des champs de bataille, ce spectacle avait posé les bases d’un dialogue artistique et mémoriel fort.
Aujourd’hui, ce partenariat s’incarne dans Grand Écart, une jeune compagnie sénégalaise qui souhaite participer activement à la reconstruction d’un secteur théâtral encore fragile. Pour Nicolas, metteur en scène, auteur et pilier de La Mascara depuis plus de 50 ans, l’enjeu dépasse largement l’artistique : « Le théâtre sénégalais est dans une situation délicate, presque renaissante. Il y a une demande immense, mais tout est à reconstruire. C’est difficile, mais passionnant. À partir du moment où il y a de l’envie, tout devient possible. »
De cette collaboration est né « L’Arbre et la jeune fille », un conte théâtral qui aborde, sans jamais donner de leçon, les réalités sociales contemporaines : violences faites aux femmes, climat, abus de pouvoir, corruption et dérives politiques. Des thèmes que les artistes sénégalais avaient eux-mêmes listés et qui, selon Nicolas, dépassent largement les frontières : « tout ce qu’ils évoquaient existe aussi en France, en Europe et ailleurs. Les problèmes sont les mêmes, les sociétés se ressemblent plus qu’on ne croit. »
Le spectacle met en scène un village imaginaire dans lequel cohabitent toutes les forces qui constituent une société : le chef, l’ancien, le sorcier, le mari, la femme… Mais aussi deux « intrus » symboliques : une jeune fille qui ose contester une décision injuste, et un « prédateur » venu d’ailleurs, figure malveillante qui cherche à corrompre l’ordre établi. « Le théâtre est fait pour suggérer. On propose, le public interprète. C’est pour cela que nous refusons de tout dévoiler : il faut venir voir », insiste la metteuse en scène Aurélie Videlier.
Pour Abdoulaye Seydi, la mission est claire : combler un vide. « Au Sénégal, ils manquent de formation, ils manquent de création, et ils manquent de diffusion. Les jeunes comédiens ont soif d’apprentissage, mais à part l’École des Arts, il n’y a presque rien. Notre ambition, c’est de les accompagner, de les professionnaliser, de partager nos méthodes et nos expériences. »
Au-delà de « L’Arbre et la jeune fille », l’objectif est d’installer Grand Écart comme une compagnie de référence, capable de produire, de former et de diffuser. Une ambition qui passe aussi par des collaborations internationales. Nicolas évoque déjà de futurs projets avec la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts, un nouvel établissement culturel français de dimension nationale. « Aujourd’hui, en France comme ailleurs, les projets doivent être fédérateurs. Travailler ensemble est devenu indispensable. »
Entre mémoire, engagement et espoir, le duo Mboup–Seydi et la compagnie Mascara veulent croire au renouveau du théâtre au Sénégal. « Ce n’est pas facile, mais l’envie est là », conclut Aurélie. « Le théâtre reste un espace où l’on peut encore rêver, réfléchir, s’émouvoir et devenir meilleur. C’est pour cela que nous sommes là. »
 
Samba THIAM
 
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