APPROVISIONNEMENT EN MOUTONS POUR LA TABASKI 2025 : Les éleveurs sénégalais face à un marché incertain




 
 
À l’approche de la fête de la Tabaski, les foirails du Sénégal sont déjà bien approvisionnés en moutons. Cependant, les éleveurs, arrivés depuis plusieurs jours, peinent à écouler leurs bêtes. Cette situation suscite des inquiétudes au sein de la filière, à la fois pour des raisons économiques, sociales et structurelles.
 
 
 
Présence des éleveurs, absence des clients
 
 
 
D’après Ismaïla Sow, président du Conseil national de la Maison des éleveurs du Sénégal, les éleveurs ont rejoint les points de vente depuis le jeudi précédent. Malgré leur présence en nombre suffisant, la clientèle se fait rare. « Les clients ne sont toujours pas au rendez-vous », déplore-t-il. Cette absence de demande fait craindre une mévente généralisée. Les éleveurs, ayant déjà engagé des dépenses importantes pour le transport, l’alimentation et l’hébergement de leur bétail, redoutent de devoir repartir avec leurs animaux invendus.
Cette tendance au retard dans les achats est néanmoins bien connue des acteurs du secteur. Beaucoup espèrent encore une affluence de dernière minute, caractéristique des habitudes de consommation pendant la période de Tabaski. Toutefois, cette attente comporte un risque : une hausse brutale des prix, provoquée par des achats massifs à la veille de la fête, entraînant une spéculation sur les derniers moutons disponibles.
 
 
Une hausse des prix liée aux coûts de production
 
 
 
Le prix des moutons a connu une augmentation notable cette année. Cette hausse s’explique principalement par l’alourdissement des charges supportées par les éleveurs. Nourrir un troupeau coûte de plus en plus cher, notamment en raison du prix élevé des aliments pour bétail. « Les bergers dépensent énormément pour l’alimentation de leurs moutons. C’est pourquoi ils refusent de vendre à perte », explique Ismaïla Sow.
À cela s’ajoutent les frais de main-d’œuvre et de transport, qui pèsent lourdement sur la rentabilité de l’activité. Pour beaucoup d’éleveurs, l’élevage est une activité principale, parfois financée par des prêts bancaires. Une mauvaise campagne peut donc entraîner des conséquences financières sérieuses, voire dramatiques.
 
 
Une concurrence étrangère de plus en plus marquée
 
 
 
Les éleveurs locaux dénoncent également la forte présence de concurrents étrangers sur le marché national. Selon Ismaïla Sow, l’ouverture des frontières a permis l’afflux massif de moutons provenant des pays voisins, notamment la Mauritanie et le Mali. Cette situation, bien que répondant à une logique d’approvisionnement du marché, est perçue comme un désavantage pour les producteurs sénégalais.
Aboubacry Dia, président de la Fédération des agriculteurs et éleveurs pour le développement (Faed), apporte un éclairage complémentaire : « Chaque jour, il y a plus de 20 camions qui quittent Podor pour Dakar. Depuis deux mois, les éleveurs mauritaniens sont sur place avec leurs troupeaux. » À Podor, les prix des moutons restent relativement abordables, ne dépassant pas les 300.000 francs Cfa, mais les éleveurs sénégalais peinent à rivaliser avec les coûts de production étrangers souvent plus faibles.
 
 
Conditions de vente parfois précaires
 
 
 
Sur le terrain, certaines difficultés logistiques compliquent le quotidien des éleveurs. Dans plusieurs points de vente, notamment dans le Nord du pays, des problèmes d’accès à l’eau, d’hygiène, de sécurité et d’éclairage ont été relevés. Pour pallier ces difficultés, la Faed a distribué 80 tonnes d’aliments subventionnés dans le département de Podor, afin d’alléger les charges des bergers présents sur place.
 
 
Un modèle à revoir selon les professionnels
 
 
 
Les responsables d’organisations pastorales appellent à une refonte de la politique nationale d’élevage. Le modèle actuel, basé sur l’élevage intensif et la culture fourragère, est jugé inadapté par une partie des professionnels. « Ce modèle nécessite des investissements trop lourds. Tout s’achète, même le personnel. Il est difficilement soutenable pour les éleveurs traditionnels », affirme Ismaïla Sow.
Ce dernier appelle à la tenue d’assises nationales de l’élevage, estimant que ce secteur vital n’a pas été suffisamment pris en compte dans les récentes concertations sur la souveraineté alimentaire. Les organisations professionnelles souhaitent une meilleure protection des éleveurs locaux, notamment face à la concurrence étrangère, et une politique d’appui mieux ciblée.
 
 
 
Une responsabilité partagée
 
 
 
Dans l’attente d’un éventuel réajustement des politiques publiques, la réussite de la campagne de Tabaski 2025 dépend aussi du comportement des consommateurs. Acheter localement peut contribuer à soutenir les acteurs nationaux de la filière et à renforcer l’économie pastorale. Une mobilisation tardive, mais massive, pourrait encore sauver la saison.
Baye Modou SARR
 
 
 
 
 
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