ANKILING DIABONE LE ROCHER D’OUSSOUYE, LA LÉGENDE QUI DÉNONÇAIT LA DÉRIVE DU JUDO SÉNÉGALAIS : 15 ans d’exil, une vie de combats, un cri pour le judo




 
 
 
Légende du judo sénégalais Ankiling Diabone qui a glané presque 40 médailles au trône du sportif le plus titré au Sénégal, nous a accordé un entretien exclusif lors de son premier retour d’exil forcé de 15 ans à Paris. Le record de médailles brandi depuis 1990, date de la fin de sa carrière, n'est toujours pas battu. Même son élève Hortense Diédhiou n’a pu le battre. Décédé jeudi dans son Oussouye, Ankiling Diabone, appelé le Rocher en Joola Cassa, fait un diagnostic du judo, sa discipline. Le champion d’Afrique dénonce ce qu’il appelait en 2013 les guerres de positionnement des dirigeants de la discipline et les tentatives de sabotage qu’il regrette fort. Il a appelé les autorités à prendre au sérieux cette discipline qui a hissé très haut le drapeau national. Il avait plaidé aussi l’érection d’infrastructures dans son Oussouye natale qui a fait remporter au Sénégal près de 100 médailles. Un coup de gueule qui résonne toujours dans la conscience collective. Il est mort à l’âge de 70 ans des suites de maladie, après avoir perdu une jambe qui a été amputée.  Il était ceinture noire 5e dan. Ankiling Diabone est considéré comme le sportif sénégalais le plus titré, avec 22 médailles d’or, 10 d’argent et 3 de bronze. Entretien.
 
 
 
 
 
Qui est Ankiling Diabone ?
 
Je suis Ankiling Diabone, fils d’Antaï Diabone et de Bayo Diatta. Nous sommes cinq garçons : Andogueu l’aîné, moi, le second, Jean-Pierre (Dimanding), Isidore, qui est sous-officier de l’armée et Seckou Diabone, le benjamin. Nous n’avons pas grandi avec une sœur parce que Papa et Maman n’ont pas conçu de fille.
 
 
 
Pourquoi avoir choisi le judo ?
 
Je suis d’abord un excellent lutteur joola, comme beaucoup de Casamançais. Le déclic est venu au Centre national de sport de Thiès (Cneps), où je suivais une formation d’enseignant d’éducation physique. Mon professeur de judo, Maître Madani Diakhaté (paix à son âme), ainsi que mon camarade de chambre Alioune Guèye, c’est un Saint Louisien, m’ont fortement encouragé à pratiquer le judo. Je m’y suis mis. Aussitôt le maitre de judo, qui s’appelait Madani Diakhaté, qui est décédé, m’a beaucoup encouragé. C’est comme ça que j’ai embrassé la carrière de judoka.
 
 
 
Comment étaient vos débuts dans la discipline ?
 
J’ai commencé en 1975 (20 ans) à Thiès où j’étais très bien encadré par Madani Diakhaté. Trois mois plus tard, j’ai été sélectionné pour un tournoi à Dakar, que j’ai gagné brillamment. Et c’est de là que le déclic est parti. De retour à Thiès, le directeur du centre de formation et mes collègues m’avaient reçu avec beaucoup d’enthousiasme. Ce succès a créé un engouement autour de moi et m’a motivé à poursuivre. Après ma formation, j’ai rejoint Dakar comme enseignant d’éducation physique et j’ai intégré le club du Maître Amara Dabo, dans son dojo appelé le dojo Momar Dieng. C’est là que ma véritable carrière a commencé puisque j’ai été toujours sélectionné aux championnats que j’ai toujours gagné. Et c’est parti comme un jeu. J’ai commencé à jouer à pratiquer le judo. Cela m’a beaucoup plu pour tout le plaisir que cela m’a procuré.
 
 
 
Racontez-nous votre parcours de 15 ans en équipe nationale ?
 
J’ai été capitaine de l’équipe nationale pendant une dizaine d’années. J’ai participé à toutes les grandes compétitions : Tournois internationaux en France, en Italie, en Angleterre, en Espagne, à Rome, Milan. Je le prenais pour un jeu parce que c’était amusant. C’était aussi agréable parce qu’n voyageait beaucoup…  Championnats du monde : Maastricht (1981), Essen (1987) ; Jeux olympiques : de Moscou (1980), de Séoul (1988) ; la Coupe du monde en Autriche (1984).
Entre 1975 et 1990, j’ai été plus de quinze fois champion du Sénégal, toutes catégories confondues, et six fois champion d’Afrique.
 
 
 
Quels sont les combats qui vous ont marqué dans votre carrière ?
 
Chaque combat pour moi était un challenge. Je retiens deux compétitions qui m’ont marqué : en 1975, quand j’étais tout débutant. Je me suis efforcé à participer aux championnats nationaux et je me suis cassé la jambe gauche. Loin du traumatisme que ça m’a causé, je me suis dit je vais guérir pour être le plus grand judoka du Sénégal. C’est là où je me suis véritablement lancé dans le judo, parce que c’était une épreuve : ou j’arrêtais la compétition ou je continuais. Et mon choix a été de guérir. C’et un pari réussi puisqu’entre 1975 et 1990 date à laquelle j’ai arrêté la haute compétition, j’ai été plus d’une quinzaine de fois champion du Sénégal toutes catégories confondues, je suis six fois champion d’Afrique. La seconde, c’est la longévité et la régularité, année après année, où j’avais pour objectif de toujours gagner encore.
 
 
 
Une belle carrière ?
 
Je dois être fier de ma carrière puisque jusqu’au moment où je vous parle, personne n’a battu mon record. Aucun Sénégalais n’a autant gagné.
 
 
 
C’est quoi votre secret ?
 
Il n’y a aucun secret en sport. En sport, c‘est le travail. C’est comme un bon paysan, si tu ne sais pas cultiver, tu n’auras pas une bonne récolte. Si c’est un jardinier, si tu ne sais pas semer ta semence au bon moment, tu n’auras pas de bons légumes. Le sport, c’est exactement pareil. Comment gagner en sport, c’est en s’entrainant, en s’entourant des meilleurs entraîneurs pour être performant. Et comme je suis professionnel dans la discipline, étant professeur de sport, je me suis documenté beaucoup. Pas de marabout, pas de gris-gris. Comme un paysan ou un jardinier, si tu veux de bons résultats, tu dois travailler au bon moment et je sais qu’il y a un seul secret dans le sport, c’est l’entrainement, l’entrainement, l’entrainement. Je ne crois pas aux marabouts, je ne crois pas aux gris-gris, je ne crois en rien du tout dans le sport. Si tu veux être un excellent sportif, il faut bien, bien, bien te préparer, il faut bien s’entrainer.
 
 
 
Suivez-vous toujours le judo sénégalais ?
 
Oui, même depuis l’étranger. Il faut dire que je ne suis pas satisfait du judo national. Cependant, au niveau du judo régional que j’ai laissé, je suis très satisfait, puisque j’étais la seule ceinture noire quand je quittais Ziguinchor en 1998.  Aujourd’hui, il y en a plus de 30 grâce au travail de mes élèves : Jacques Senghor, Bachir Seydi, Diané, Nicolas, etc. Ce noyau a suivi, a prolongé, a perpétué le judo que j’ai laissé en Casamance en 1998. Je sais qu’il y a des problèmes, des soucis, mais je pense que de régler un problème dans une structure associative, c’est de s’asseoir, de discuter et de débattre de façon objective pour que la discipline que nous aimons puisse être toujours notre moyen de communication, notre moyen d’entente. Donc je pense que les problèmes qui subsistent en ce moment au niveau de la ligue peuvent être réglés. Il suffit que les gens aient la bonne volonté. A Dakar j’ai été interpellé de la même manière, il y a beaucoup de dissentions, il y a des conflits internes, des compétitions perturbées par les autres, on ne s’entend pas avec le Dtn, avec l’entraineur, etc., Il y a une guerre de clans qui ne fait que régresser le judo. Je pense que chacun doit être courageux pour qu’ensemble on prenne le temps de s’asseoir, tel que le Sénégalais l’aime bien, à savoir dialoguer et trouver la bonne solution pour la meilleure marche de notre judo.
 
 
 
Pourquoi dites-vous que le judo a régressé ?
 
Parce qu’à notre époque, nous revenions presque toujours des championnats d’Afrique avec plusieurs médailles. Depuis 15 ans, ce n’est plus le cas. Je sais que mon élève Hortense Diédhiou défend bien le judo. Mais encore faut-il que les moyens puissent permettre à d’autres de glaner des médailles au nom de notre pays. Moi je serai fier si un Sénégalais gagne plus que moi car un papa est heureux quand son fils le dépasse dans ses performances sportives. Or, voilà 15 ans personne n’a égalé ou dépassé Ankiling Diabone. Comme ça, on notera que la discipline régresse.
 
 
 
Quels sont vos conseils pour les jeunes
 
Aux autorités municipales d’Oussouye de mettre à la disposition de la jeunesse des infrastructures dignes, fournir des kimonos, tapis, matériel d’entrainement, assurer un suivi médical, soutenir socialement les enfants, parce qu’on ne peut pas s’entrainer au judo et rentrer à la maison sans avoir bien mangé, le repas qu’il faut pour se regénérer, sans avoir les vêtements qu’il faut pour que, dans 10, 15 ans, on ait une centaine d’Ankiling Diabone. Je sais qu’il y a beaucoup de dissensions au niveau national à cause des dirigeants. S’il n’y a pas de cohésion dans la démarche globale, forcément il n’y aura pas de bons résultats. Imaginez-vous qu’une compétition soit organisée et qu’un club dise : moi je vais perturber la compétition, parce que ce dirigeant ne me plait pas, vous imaginez les conséquences ? ça me rend malheureux et quand j’ai appris ça à Dakar, j’ai été profondément blessé de savoir qu’au niveau des dirigeants, ils sont en train d’utiliser les jeunes pour retarder le judo. C’est inadmissible. J’ai donné des consignes. Est-ce que je serai écouté ? Je ne sais pas.
 
 
 
Vous avez tantôt parlé d’infrastructures, quel constat faites-vous après 15 ans d’absence au Sénégal ?
 
Je suis choqué de voir des tapis déchirés, des enfants sans kimono, s’entraînant avec des blousons. C’est lamentable. Je veux entendre des autorités dire tout haut que nous avons le réservoir des combattants. C’est seulement en Casamance que vous avez les plus grands champions nationaux en athlétisme, en lutte féminine, en boxe, en judo… Comment expliquer qu’il n’y ait pas de moyens ? Le sport c’est le développement aussi. C’est le sport qui fait connaitre une région. C’est par le sport qu’on connait une communauté.  Alors pourquoi Oussouye ne se vendrait pas par l’exportation de ses champions, en les aidant à être performants ? C’est ça mon souci.
 
 
 
Est-ce que ce sont les mêmes infrastructures qu’à vos débuts, en 1975 ?
 
Je dis non, on régresse parce qu’après 50 ans d’indépendance au Sénégal, qui connait beaucoup de champions d’Afrique, on se retrouve dans des salles au niveau des régions avec des tapis déchirés, des jeunes qui n’ont pas de kimono, avec des jeunes qui, après entrainements, n’ont pas les moyens pour remonter jusqu’à Dakar pour participer aux compétions, parce qu’il n’y a pas de grands moyens offerts par la fédération et par le ministère ; moi je dis que nous sommes en train de régresser. Ça, je le dis à voix haute. Aujourd’hui, on ne devrait pas avoir de soucis d’équiper des jeunes à avoir des kimonos pour aller s’entrainer. Nous sommes en Casamance, la région d’Ankiling Diabone, la région de Monique Diabone, de Bachir, de Nicolas, de Diané… Comment on peut entrer dans une salle et trouver un tapis déchiré, des kimonos déchirés, des jeunes qui s’entrainent avec des blousons ? Je l’ai vu de mes propres yeux …
 
 
 
Qu’est devenu ce champion de judo ?
 
Je vis en France depuis 15 ans. Je travaille, mes enfants pratiquent un peu le judo. Je suis revenu pour me ressourcer, rénover mes cases, participer à la vie communautaire, prier, rencontrer les anciens… et partager de bons moments autour d’un verre de vin de palme ou d’une bière. Je suis devenu un père tranquille, un grand-père.
 
 
 
Quelles solutions proposez-vous pour améliorer le judo sénégalais ?
 
Moi je dis que c’est une option politique. Quand j’étais cadre au niveau du ministère des Sports, c’est le fait qu’on a privilégié une seule discipline par rapport à d’autres. Or, à partir du moment où les petites disciplines tels que le judo, la boxe, la lutte gréco-romaine…  pouvaient avoir un minimum pour se développer et un minimum pour envoyer ses athlètes nous représenter partout, nous aurions beaucoup de champions dans beaucoup de disciplines. On met beaucoup d’argent dans le football qui rapporte peu de médailles pendant ce temps, les autres rapportent des médailles et n’ont pas de siège. Il nous faut qu’il y ait une vraie politique sportive en misant sur la base.
 
 
 
Un éventuel retour au pays ?
 
Bien sûr. Je ne vivrai pas éternellement en France. Si un jour l’État ou la jeunesse me sollicite pour transmettre mon expérience, ce sera avec un immense bonheur. Je rappelle que je suis ceinture noire 5e dan, entraîneur 3e degré, maître d’éducation physique, et détenteur d’une expérience internationale importante. Je suis prêt à la transmettre.
 
 
 
Votre dernier mot ?
 
Je prie pour une paix durable en Casamance, pour que chacun puisse travailler, voyager, aller à l’école sans peur. Notre région est belle, fertile, riche humainement. Nous devons la développer et la protéger.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


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