AÏSSATOU DIOP FALL DÉNONCE UNE « PERSÉCUTION D’ÉTAT » « La Bnde est devenue l’arme du régime Sonko-Diomaye contre la presse libre »




 
 
La patronne du groupe PROD’ADF et éditrice de Public.sn Tv accuse la Banque nationale pour le développement économique (Bnde) d’être instrumentalisée par le pouvoir pour l’étouffer financièrement et la jeter en prison. Dans un point de presse tenu à Dakar, Aïssatou Diop Fall a livré un témoignage cinglant sur les pressions qu’elle subit et la dérive autoritaire qu’elle dénonce.
 
 
 
« On veut me faire taire, purement et simplement »
 
La salle de conférence du siège de Public.sn Tv était pleine à craquer ce mardi 21 octobre. Face à une assistance dense de journalistes, Aïssatou Diop Fall, Présidente-directrice générale du Groupe PROD’ADF, n’a pas mâché ses mots. Dans un ton ferme et mesuré, elle a accusé la Bnde, une institution publique censée soutenir les entreprises sénégalaises, d’avoir « viré dans l’arbitraire le plus total » en transformant un différend commercial en chasse à la femme et au média indépendant. “La Bnde n’agit plus comme une banque, mais comme une arme politique entre les mains du régime Sonko-Diomaye pour me briser et faire taire Public.sn Tv”, a-t-elle martelé d’entrée.
Selon la cheffe d’entreprise, le conflit remonte à un prêt contracté en 2022, d’un montant avoisinant 100 millions de francs Cfa, destiné à financer la mise en place de la Web Tv du groupe, Public.sn Tv, ainsi que les charges de fonctionnement du média. Tout avait été fait « dans la transparence la plus totale », précise-t-elle, «  20% du montant versé en dépôt, 70% garantis par le Fongip, et des remboursements réguliers de 1.650.000 francs Cfa par mois ».
 
Des difficultés aggravées par le harcèlement contre Public.sn Tv
 
Le groupe PROD’ADF, créé en 2013, a lancé, selon elle, ses activités médias en 2022 dans un environnement de plus en plus hostile à la presse indépendante. Aïssatou Diop Fall rappelle qu’au fil des mois, son média a été privé de publicité institutionnelle, visé par des signalements abusifs et pénalisé par des suspensions arbitraires de diffusion. “Ces attaques répétées ont fragilisé notre équilibre économique. Malgré tout, nous avons continué à rembourser. Mais face à la baisse brutale de nos revenus, nous avons simplement demandé une restructuration du prêt, comme cela se fait partout dans le monde”, a-t-elle expliqué. La demande formulée à la Bnde portait « sur l’allongement de la durée du prêt à 10 ans, un différé de paiement de six mois, et le déblocage du dépôt de garantie pour régulariser les impayés », précise-t-elle devant les médias. Une requête raisonnable, selon elle, soutenue par un plan de relance adossé à de nouveaux produits : le site PublicSN.com, le quotidien Le Public, et un serveur vocal inédit contracté avec Sonatel. « Nous sommes la seule chaîne YouTube à disposer d’un serveur vocal au Sénégal », a-t-elle souligné.
 
 
« Un accord signé… puis renié »
 
La Bnde aurait initialement validé le plan et reconduit la garantie du Fongip. « J’ai signé tous les documents devant notaire, la banque a même débité les frais d’acte », soutient la dirigeante. L’accord, formalisé et légalement opposable, prévoyait que les remboursements reprennent au début de l’année prochaine, après le différé convenu. Mais à sa grande surprise, Aïssatou Diop Fall dit avoir reçu un nouveau courrier de la Bnde « annulant unilatéralement le protocole et exigeant le remboursement immédiat de 49 millions de francs Cfa, sous peine de poursuites pénales pour détournement de prêt consenti par l’État. C’est une dérive sans précédent. Tout était signé, acté et notarié. Et du jour au lendemain, on m’accuse de détournement alors que Public.sn Tv fonctionne, que les équipements sont là, et que la banque a elle-même constaté nos investissements sur place », dénonce-t-elle.
 
« Une plainte pour détournement ? C’est une honte pour la République »
 
L’éditrice affirme que l’acharnement a pris une tournure brutale ces dernières semaines avec la fermeture unilatérale de son compte bancaire, mise en demeure par huissier, et menace de plainte au parquet. Vendredi dernier, raconte-t-elle, « l’huissier est revenu m’informer que la Bnde allait saisir le procureur pour m’accuser de détournement de prêt consenti par l’État. On veut me traîner en prison comme une délinquante financière alors que tout est transparent. C’est une honte pour la République. Le vrai but, c’est de fermer Public.sn Tv et de m’empêcher de parler », dénonce Mme Fall. Elle y voit clairement une manœuvre politique orchestrée contre les médias indépendants. « Après la tentative de fermeture menée par le ministère de la Communication, c’est la Bnde qui prend le relais. On cherche à tuer économiquement les voix libres. Ce n’est plus de la gestion bancaire, c’est de la persécution d’État ».
S’appuyant sur le Code civil et le Code pénal, la Pdg du groupe PROD’ADF rappelle que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
En d’autres termes, la Bnde ne peut se soustraire à un accord signé devant notaire. Quant à l’accusation de « détournement de prêt consenti par l’État », elle la juge « ridicule et calomnieuse. L’article 385 du Code pénal ne s’applique que si les fonds ont été utilisés à d’autres fins que celles prévues. Or tout le matériel est visible, fonctionnel et payé avec le prêt. Où est le détournement ? »
Elle rappelle enfin que le prêt a été consenti à PROD’ADF SUARL, une personne morale distincte d’elle-même. « Je suis la gérante, pas la débitrice personnelle. C’est une société qui a un patrimoine, des employés, des revenus et des comptes audités ».
 
 
“Une guerre contre l’entrepreneuriat féminin et la presse libre »
 
Au-delà de sa situation personnelle, Aïssatou Diop Fall dit craindre un précédent dangereux pour les entrepreneurs et les médias au Sénégal. “ Aujourd’hui, c’est moi. Demain, ce sera un autre journaliste, un autre entrepreneur. Si une banque publique peut instrumentaliser la justice pour réduire au silence une femme cheffe d’entreprise, c’est que la démocratie est en danger ».
La patronne de Public.sn Tv affirme rester debout et déterminée à combattre jusqu’au bout. « Nous n’avons détourné aucun franc. Nous demandons simplement que la loi soit respectée. Si la Bnde veut récupérer sa créance, qu’elle aille devant le Tribunal de commerce, pas au pénal. Nous, nous irons jusqu’au bout pour défendre notre honneur, nos droits et notre liberté ». Un combat symbolique pour la liberté d’entreprendre. “ Ce n’est pas un combat pour moi seule. C’est le combat de tous ceux qui croient encore à la liberté d’expression, à la liberté d’entreprendre et à la justice ».
Et de conclure en prévenant les autres patrons de presse. “Je ne céderai pas. Public.sn Tv continuera d’émettre, d’informer et de servir le peuple sénégalais, quelles que soient les intimidations. On peut nous bloquer, mais on ne nous fera pas taire », conclut-elle.
 
Baye Modou SARR
 
 
 
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