Le vote de la loi portant création de l'Ofnac a été une occasion pour les députés de l’opposition de dénoncer la précipitation avec laquelle cette loi a été présentée en session extraordinaire. D’autant plus que, pendant ce temps, les populations sont dans le désarroi à cause des inondations. De l’avis de Me Aissata Tall Sall, cette loi a été modifiée pour «dégager» Serigne Bassirou Guèye. Cependant, la majorité est revenue sur les incongruités de l’ancienne loi qui avait donné à l’Ofnac des pouvoirs exorbitants.
Le projet de loi portant création de l’Office national de lutte contre la corruption (Ofnac) en remplacement de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) a été adopté hier en session extraordinaire. En attendant l’entrée en vigueur de cette loi, l’ancienne équipe de l'Ofnac dirigée par Serigne Bassirou Guèye peut d’ores et déjà plier bagages. En effet, selon la présidente du groupe parlementaire Benno, Me Aïssata Tall Sall, cette loi a été taillée pour «dégager» l’ancien procureur de la République. A l’en croire, l’urgence est à la lutte contre les inondations.
Aissata Tall Sall : «dégagez, jusqu’au jour où le Bon Dieu vous dégagera du Sénégal»
«Pendant que nous sommes en session, il faut le dire et c’est la vérité, le Sénégal est en désespoir. Notre pays est dans l’eau, les maisons sont envahies par les eaux, les champs aussi. Partout, il n’y a que de la désolation. Alors que je m’attendais à voir le ministre de l’Intérieur pour nous parler d’un plan Orsec parce que le fleuve Sénégal est en train de déborder à Bakel, Podor et Dagana, on nous parle de ces quatre lois. Alors que je m’attendais à voir le ministre de l’Assainissement, on me dit qu’il est en train de visiter des infrastructures. L’heure est grave. Je ne dis pas que ces lois ne sont pas importantes, mais quelle est l’urgence qui nous pousse à les examiner maintenant ? L’urgence ce n’est pas pour modifier la loi, c’est pour voter une nouvelle loi et dégager Serigne Bassirou Guèye. Si c’est ça, qu’on le dise, mais pourquoi on se précipite. Serigne Bassirou Guèye a un mandat de six ans et on a voulu le dégager comme on veut dégager les institutions, comme on veut dégager la justice, comme on veut dégager le Conseil constitutionnel, comme on veut dégager l’opposition. Dégagez, dégagez jusqu’au jour où le Bon Dieu vous dégagera du Sénégal», lance furax l’avocate excédée par la célérité qui entoure le vote du texte.
Tafsir Thioye : «Dieu n’aime pas l’injustice»
Pour sa part, le député Tafsir Thioye estime que c’est l’histoire qui se répète. «On nous appelle en session extraordinaire pour faire de la suppression-création de l’Ofnac pour faire partir le président de l’Ofnac, Serigne Bassirou Guèye. Je constate que les mêmes pratiques persistent. Lorsque Aminata Touré venait demander la suppression du Conseil économique et social, son conseiller était Serigne Bassirou Guèye. Aujourd’hui, c’est ce Bassirou qu’on veut faire partir. Dieu n’aime pas l’injustice et Pastef doit éviter de verser dans l’injustice», précise le député. Même s’il est persuadé que combattre la corruption relève d’un acte de foi pour préserver la dignité humaine, il ne peut comprendre que ce phénomène ait pris un tel ampleur dans un pays de croyants. Ce qui lui fait dire que le vote de la loi ne devait pas être précipité. Mieux, il est d’avis qu’une modification constitutionnelle devait précéder cet exercice.
Anta Babacar Ngom : «avec cette session extraordinaire, je croyais qu’il y avait des solutions pour tirer les Sénégalais des eaux»
La présidente du mouvement Arc, Anta Babacar Ngom, précise qu’elle est en phase avec la loi, mais l’esprit du texte prête à équivoque. « Cette précipitation au point de convoquer une session extraordinaire ne se justifie pas. Ce travail devait être concerté. Il reste beaucoup de choses à améliorer pour parfaire le texte», explique le député qui en veut pour preuve les 20 amendements du ministre de la Justice. Poursuivant, il se désole de constater que ses huit amendements pour améliorer le texte ont été tout simplement rejetés. Pourtant, un des amendements , dit-elle, fait état de la mise en place d’une commission indépendante composée de magistrats, de députés, de représentants du chef de l’Etat et de la société civile pour examiner les candidats qui postulent à l’appel à candidature et propose au président de la République qui nomme en dernier ressort les candidats sélectionnés. «En pareille circonstance, les urgences sont ailleurs. Avec la convocation de cette session extraordinaire, je croyais qu’il y avait des solutions ou des projets extraordinaires qu’on devait voter pour tirer les Sénégalais des inondations. Le temps de patauger est révolu, les populations attendent des solutions concrètes de sortie des eaux », ajoute le député.
Thierno Alassane Sall : «dans mon rôle naturel de lanceur d’alerte, je ne suis pas entendu, parfois on me charrie. Que voudraient les lanceurs d’alerte anonymes ?»
A l’image de ses collègues députés de l’opposition, Thierno Alassane Sall estime qu’avec les inondations notées un peu partout à travers le pays, les urgences sont ailleurs. « L’urgence n’est pas de convoquer une session extraordinaire, mais d’aller au chevet des populations impactées. De décembre, date de notre installation, à juin, nous sommes à 13 projets de loi. Donc, ce n’est pas le travail parlementaire qui nous a accablés au point qu’on convoque cette session extraordinaire pendant que la population que nous représentons est dans le désarroi et n’a que des seaux pour lutter contre les eaux. Où est l’urgence si on peut renvoyer la loi au mois d’octobre ? », s’interroge le président de la République des valeurs. Poursuivant, il fait remarquer que le projet de loi soumis à l’appréciation des députés comporte 20 amendements dont certains relèvent de coquilles. Ce qui lui fait dire que ce n’est pas ce projet de loi qui va révolutionner la corruption au Sénégal. « Il y a un scandale de 37 milliards qui se sont volatilisés et en échange, on chercherait à mobiliser nos entrepreneurs locaux qui ont cette capacité pour aller dans les 5 régions impactées par le projet pour se substituer au ressortissant espagnol qui devait faire le travail. Nous voulons lutter contre la corruption nous voulons favoriser les lanceurs d’alerte et dans mon rôle naturel de lanceur d’alerte, je ne suis pas entendu, je ne suis pas écouté. Parfois même on me charrie. Que voudraient les lanceurs d’alerte anonymes ? Des lanceurs d’alerte ont saisi le Premier ministre sur une question qui concerne la bonne gouvernance sans suite. Voilà encore un autre projet de loi qui va renforcer notre arsenal juridique sans rien changer au cancer qui gangrène le Sénégal », tranche le député.
Guy Marius s’en prend au Plan décennal de lutte contre les inondations
Guy Marius Sagna a porté la réplique à ses collègues de l’opposition qui font des inondations une priorité sur le vote de ces lois. « Durant le magistère de Macky Sall, il y avait un plan décennal de lutte contre les inondations d’un montant de 766 milliards et ceux qui s’attaquent au projet de loi sont ceux qui cautionnent le détournement de cet argent. Si cet argent était réellement investi dans la lutte contre les inondations, nous n'en serions pas là à citer ceux qui vivent encore dans les eaux », explique le député qui n’a pas manqué de s’en prendre à Thierno Alassane Sall qu’il surnomme « Taser ». A l’en croire, Thierno Sall doit éviter d’inventer des scandales au risque de se faire électrocuter. « Taser n’est peut-être pas au courant que le Directeur Jean Michel Sène a réussi à électrifier en trois mois 172 villages alors que la moyenne était de 125 villages par trimestre durant les quatre dernières années de Macky Sall. Vouloir créer des scandales pour faire l’actualité ne doit pas vous empêcher de le faire dans la vérité. Poursuivant, il a interpellé le ministre sur la situation des 15 bénévoles au tribunal de Dakar qui attendent depuis 15 ans pour certains leur recrutement dans la fonction publique. A l'en croire, cette situation doit être corrigée. Il a aussi remis sur la table l’image de l’enfant utilisé comme bouclier humain lors des manifestations préélectorales. Cette affaire, dit-il, ne nécessite pas 17 mois d’enquête pour identifier les auteurs de ces acte.
Alioune Ndao : « Si on avait quantifié les montants détournés par les dignitaires de l’ancien régime, ce n’est plus la justice qui va les poursuivre mais ... »
L’ancien procureur estime que si le Sénégal a tardé à se développer, c’est en partie à cause de la corruption. « Cette loi se justifie parce que depuis la création de l’Ofnac, la corruption n’a pas reculé au contraire elle a atteint des proportions inquiétantes, de même que l’enrichissement illicite. Si l’on avait quantifié les montants détournés par les dignitaires de l’ancien régime, ce n’est plus la justice qui va les poursuivre mais la population à coups de bâtons. Ce qui est important dans cette réforme, c’est que l’enrichissement illicite ait été placé à dessein par Macky Sall sous la tutelle du président de l’Ofnac qui possède des pouvoirs exorbitants pour échapper aux poursuites. Le président de l’Ofnac bénéficie d’un pouvoir de dessaisissement outre la garde-à-vue. Le président de l’Ofnac avait le pouvoir de dessaisir des magistrats qui avaient des dossiers d’enrichissement illicites. Ce qui était très grave. Avec le vote de cette loi l’enrichissement illicite sera confié au Pool judiciaire financier qui connaîtra de ce délit. Si jusqu’ici il n’y a pas eu d’enquête de patrimoine, c’est parce que le président Sall avait confié l’enrichissement illicite à l’Ofnac. Or, depuis 2024 aucune poursuite n’a été initiée tout simplement parce qu’un cas ne peut connaître d’autres cas », fulmine l’ancien procureur.
M. CISS