Entre des sanglots et des lamentations, s'est passé le déferrement des détenus qui ont été interpellés lors des manifestations ayant suivi le verdict de l'affaire Sweet Beauté. Ainsi, la cave du tribunal de Dakar était noire de monde. Des parents de détenus venus de divers horizons se sont dispersés partout aux alentours, attendant avec inquiétude des nouvelles de leurs proches emprisonnés. C'est dans une douleur indescriptible qu'ils ont expliqué le calvaire qu'ils vivent en ce moment.
Cave du palais de justice de Dakar. Ce lieu renvoie aux détenus qui y sont déferrés quotidiennement pour être présentés au procureur de la République. Qui se chargera ensuite de les fixer sur leur sort. Avant les échauffourées consécutives à la condamnation de Ousmane Sonko, l'affluence n'était pas très importante au quotidien. Mais, depuis lors, c’est une affluence monstre. La police nous de 500 individus dont des mineurs et des étrangers qui ont été interpellés au cours des dernières manifestations au Sénégal. Conséquences : les déferrements ne font que se multiplier au tribunal de Grande Instance de Dakar. Ce qui fait que la cave du palais de justice enregistre de plus en plus de détenus.
Il est 14h ce 8 juin 2023. Le visage de cet endroit a complètement changé à cause de cette affluence, alors qu'il ne recevait pas autant de détenus, ni cette marée humaine d’ordinaire. Des fourgonnettes ne cessaient d'arriver pour débarquer les manifestants interpellés. Si ce n'est pas un grand bus des éléments du Gign avec ces derniers encagoulés et armés jusqu'aux dents, c'est d'autres véhicules préposés au transfert des détenus qui se pointent. À un moment donné, lorsque l'un des véhicules vides se présente à la cave pour acheminer des prisonniers vers la maison d'arrêt, la foule accourt. En masse, elle s'entasse tout autour dudit véhicule pour essayer d'identifier des proches qui seraient parmi eux. Dans ce compartiment du tribunal, tout espace qui pourrait servir de lieu d'attente a été occupé par les parents des détenus présents sur place. Si certains sont assis sur les gazons, d'autres ont préféré rester debout sous le soleil ardent, attendant ainsi un avocat ou une autre personne pouvant les renseigner sur la détention de leurs proches. D’autres, quant à eux, sont assis à même le sol ou sur la dalle qui se trouve juste devant la porte de la cave, en train de fustiger les écarts du régime en place. Des femmes se mettent aussi à pleurer, tout en soutenant que cela faisait des jours qu'elles n'ont aucune nouvelle de leurs enfants.
Tractations pour donner à manger à ses parents détenus
Et parmi eux, une dame qui égrenait son chapelet en psalmodiant des prières. A côté du portail de la cave, un autre groupe de femmes, sachets à la main, se présente au gendarme de faction. Après quelques mots échangés avec l'homme en tenue, elles lui remettent les sandwichs qu'elles apportent à leurs proches détenus. Si ces dernières n'ont pas eu de problèmes à apporter à manger à leurs parents, d'autres se sont heurtées à la réticence de la personne qui était sur place et qui a refusé de récupérer la nourriture qu'elles avaient. Très déçues, elles retournent tranquillement là où elles étaient en marmonnant. Un homme qui n'a pas voulu révéler son identité, juché sur trois pierres superposées qui lui servent de banc, la trentaine révolue, nous confie que sa présence sur les lieux est due à l'arrestation du fils de sa tante.
Un lutteur qui devait combattre le lendemain
Vêtu d'un tee-shirt blanc, d'un pantalon kaki avec une sacoche en bandoulière, il explique sa situation avec un air triste. «Celui que je viens assister aujourd'hui est un lutteur. Il a été arrêté devant chez lui à Colobane, le samedi dernier. Alors qu'il devait disputer un combat le lendemain, dimanche. C'est le fils d'une de mes tantes», avoue-t-il. Pour sa part, M.S a quitté Keur Mbaye Fall aux premières lueurs du jour pour rallier le tribunal de Dakar. Trouvé à côté de la cave, il est sur place pour assister ses deux frères détenus à l'issue de ces manifestations. En tee-shirt blanc et jeans, avec une casquette de couleur bleue, cet homme qui se tient debout sous les rayons brûlants du soleil, avec un regard hagard, confie avoir vu un avocat qui s'occupe de leur cas. Très avare en paroles, le jeune homme, pour ne pas se faire interpellé par les autorités judiciaires, dit-il, préfère ne pas en dire plus pour le moment.
En face de lui, se tenait une vieille dame en sanglots. La quinquagénaire du nom de Y.C, forte corpulence, pleurait sans discontinuer. Vêtue d'un boubou wax, elle ne cessait de nettoyer chaque larme qui coulait sur ses joues avec son foulard. Elle égrenait en même temps son chapelet. Tout à coup, elle crie sur une fille qui s'est mise devant elle et l'empêchait de voir les détenus qui embarquaient dans une fourgonnette immobilisée qui s'apprêtait à les acheminait à la maison d'arrêt. «Tu nous empêches de voir ce qui se passe. Ôtes-toi de là», a-t-elle crié d'un ton menaçant. Cette vieille dame vient de la ville sainte de Tivaouane pour porter secours à son fils arrêté à Dakar au lendemain des manifestations. «C'est mon fils qui est détenu. Avec l'approche de la Tabaski, il était venu à Dakar pour son commerce de moutons. C'est une opération Tabaski qu'il était venu faire. Et quand les émeutes ont commencé le jeudi après le verdict dans l'affaire Ousmane Sonko, je l'ai appelé pour lui demander de faire attention. Il m'a rassurée. Mais le lendemain, vendredi, j'ai passé toute la journée à l'appeler au téléphone jusque tard dans la nuit. Mais en vain. J'étais trop paniquée puisque je n'arrivais pas à entrer en contact avec lui. Malheureusement, c'est le samedi que l'un de ses amis m'a appelée puis m’informer nuitamment de son interpellation à la Sicap, là où il vendait ses moutons», a expliqué la vieille Y. C.
À ses côtés, une autre dame accroupie. Emmitouflée dans une tenue dite "maylous", on sentait qu'elle avait beaucoup pleuré. Invitée à décliner son identité, elle refuse et soutient qu'elle ne voudrait pas s'attirer d'autres problèmes. «C'est mon fils de 20 ans que je suis venue voir. Il est déferré aujourd'hui devant le procureur. C'est trop dur, cette situation. On doit revoir l'éducation de nos enfants. On doit leur tenir un langage de vérité, sinon, en cas de problèmes, ce ne sont que les mamans qui se décarcassent pour les sortir du pétrin. La preuve aujourd'hui, tu n'as vu aucun père de famille dans cette cave», a-t-elle regretté. Très en colère, elle ajoute en écrasant quelques larmes : «je vais vous dire la vérité. Ce n'est pas parce qu'il est mon fils que je dois mentir sur son cas. Mon fils a de son propre gré quitté la maison pour aller voir les manifestations qui ont eu lieu à quelques pas de la maison. Actuellement, je n'ose appeler aucun membre de ma famille pour demander de l'aide, parce qu'ils avaient mis en garde tous les enfants par rapport à ces manifestations. La personne qui s'est chargé de son éducation et moi sommes obligées de régler ce problème alors que dans ma famille, il y a des autorités".
L’épouse de Cheikh Bara Ndiaye en sanglots
Cathy Diop, épouse de Cheikh Bara Ndiaye, était aussi présente. Elle passait tout son temps à pleurer devant la cave du tribunal. Habillée tout en rose, l'épouse du chroniqueur de Walf qui faisait les cent pas a fini par rejoindre le hall du tribunal. Assise juste à côté de la salle 1 où se tiennent les audiences des flagrants délits, c'est avec une mine de chienne battue que la dame s'est résignée à écouter les conseils que l'avocat de son époux lui donnait. La robe noire, en face d’elle, lui expliquait en détail la situation de son conjoint avant de lui dire : «il faut rentrer chez toi pour te reposer. C'est mieux». Refus total de la dame : «même si je rentre, j'e n'aurai pas la conscience tranquille. Il faut que je reste là. C'est en étant là que j'aurai l'esprit tranquille», répond Cathy Diop. Finalement, elle s'est résignée à quitter le tribunal, accompagnée de quelques proches.
Fatou D. DIONE